Enregistré en mode analogique dans un studio parisien en l’espace d’une semaine, Lifeline s’apparente à un sprint pour la forme (onze chansons, deux prises maximales par titre, quarante minutes de musique) et ce bien qu’il soit chargé des préoccupations qu’inspire le long et douteux combat contre le temps et ce qu’il dégrade : la force, l’ambition, l’amour, l’indignation. Ainsi dans Younger than Today (un coup de grâce) ou dans Lifeline, retrouve-t-on comme par magie le Ben Harper de son intouchable Welcome to the Cruel World, barde mystique à la mélancolie en apesanteur, hybride vocal de Skip James et Cat Stevens, qui paraissait alors avoir vécu plus que son âge ne l’avouait et dont la vaporeuse tristesse laissait deviner la fin dès le commencement. Ben Harper, cette vieille âme dans un turbulent corps d’athlète, revient ici animé d’un certain esprit combatif (Fight Outta You) tout en sachant mieux gérer son effort, menant chacune de ses chansons comme autant de rounds de boxe avec une économie sonore (impeccables Innocent Criminals) et de tempérament qui rend ses coups plus percutants que lors de son match précédent (l’inconstant Both Sides of the Gun). Il s’offre même un magnifique passage à vide avec Paris Sunrise # 7, instrumental au dobro dont la poésie tutoie le Paris, Texas de Ry Cooder. Les grands champions n’affirment jamais mieux leur supériorité que par l’humilité. Ben Harper réussit ici à transformer ses limites en lignes de force, à aboutir de bonnes chansons à l’aide de vieilles idées musicales (Fool for a Lonesome Train) et à restaurer par la modestie des moyens mis en œuvre le plaisir simple de la musique. Pas un KO mais une victoire aux points.(Inrocks)