Je n'ai pas l'habitude d'évoquer les albums live car je les trouve rarement intéressants et je préfère largement les versions studio. Mais difficile de passer à côté de ce live de Black Country, New Road, puisque le groupe propose ici de tout nouveaux morceaux originaux, lors d'un concert qui a été capté en décembre 2022, c'est à dire sans la présence de l'ancien frontman Isaac Wood qui a quitté le groupe après la sortie de Ants From Up There l'an dernier. Ce Live at Bush Hall donne donc un bon aperçu de la nouvelle direction musicale prise par Black Country, New Road - ce qui n'est pas rien, après avoir réalisé un des jalons de l'indie rock de ces dernières années. Attente énorme, compensée par le fait de livrer ces nouveaux morceaux en version live, de manière aussi rapide dans le temps, plutôt bien joué pour ne pas avoir à affronter le poids du culte et ne pas attendre de trop reculer pour mieux sauter.

Bref, pour ce qui est de cette nouvelle fournée de morceaux, je ne sais pas trop quoi en penser. J'ai découvert le live en regardant le concert filmé sur Youtube et j'ai trouvé ça moyen. La transformation du groupe, de machine post-punk frontale en groupe indie rock pop arty, en l'espace de 3 ans, est assez radicale et surprenante. Réécouter For the First Time après ce Live at Bush Hall est une expérience étonnante, mais intéressante pour se rappeler d'où vient le groupe. Si Ants From Up There avait déjà commencé à opérer la mue, Black Country, New Road atteint un nouveau stade avec les morceaux de ce live.

Difficile de ne pas sentir un côté forcé dans ces singularités devenus gimmicks (le saxophone et le piano), désormais utilisés dans un registre beaucoup plus léger et mélodique, quasi-exclusivement. Il y a aussi le fantôme d'Isaac Wood qui flotte, tant le chant des autres membres (Lewis Evans, May Kershaw et Tyler Hyde à tour de rôle, même si Tyler Hyde semble désormais être la leadeuse du groupe) imite les intonations de l'ancien frontman. La sensation d'écouter Black Country, New Road sans l'écouter vraiment est très étrange, comme si on était en face d'une copie qui essaye de retrouver un esprit égaré. La vidéo du live m'a donné l'impression d'une exécution bordélique, d'un manque de cohésion et de direction dans l'écriture et l'interprétation. J'ai attendu d'écouter le concert en mode album pour me faire une meilleure idée - c'est bête mais j’appréhende mieux la musique de cette façon, j'ai le sentiment que c'est plus confortable et lisible.

Ma première impression mitigée s'est légèrement atténuée - on ne peut pas dire que ce que le groupe livre ici est mauvais - mais je continue à penser que ces nouveaux morceaux manquent de force et de cohésion. L'idée, j'imagine, est de renouer avec le lyrisme que l'on a pu entrevoir sur des morceaux comme Concorde ou The Place et The Place Where He Inserted the Blade - ce mélange de mélodie déchirante, d'interprétation incarnée et d'énergie lumineuse et écorchée - mais le groupe n'arrive pas à atteindre l'épiphanie, que ce soit à cause du chant moins possédé que celui d'Isaac Wood, ou de l'instrumentation qui manque d'épaisseur. Je trouve que la musique de Black Country, New Road avait jusque-là le mérite de dégager une grosse densité, et le groupe avait aussi le sens des ruptures, une gestion du rythme brillante, en témoignent encore une fois Concorde (ces breaks qui introduisent un lyrisme délicat et ce final cathartique qui s'envole !) et The Place Where He Inserted the Blade (ça se voit que ce sont mes deux morceaux préférés du groupe ?).

Les structures des nouveaux morceaux sont bien moins riches, elles sont plus linéaires - les progressions n'amènent aucune rupture de ton - et manquent de variété et d'idées dans l'écriture. On sent presque les courants d'air et les jointures pour faire tenir debout et étirer des idées assez simplistes voire minimalistes. Je trouve que c'est parfois un peu borderline dans l'exécution, comme si le manque de fondations solides et de direction claire créait un flottement qui tourne à vide. On retrouve, de fait, souvent les mêmes formules : des mélodies calmes, légèrement surjouées dans le pathos (à la Isaac Wood), à peine soutenues par les instruments, avant que le crescendo se mette en place, le groupe concluant dans un chaos sonore désorganisé, chaque membre jouant sa partition sans synergie particulière, et de manière parfois répétitive et obsessionnelle, accentuant l'impression d'une musique qui n'a pas beaucoup d'atouts dans sa manche et joue sur la répétition des motifs, davantage que sur la variété ou des combinaisons recherchées.

Le morceau qui m'a le plus surpris à la première écoute est sans doute The Boy, chanson chamber pop primesautière au piano à la progression brinquebalante (le chant de May Kershaw a un charme hésitant), qui tranche radicalement avec l'univers habituel de Black Country, New Road. On s'attendrait davantage à entendre ce genre de morceaux chez Amanda Palmer ou Regina Spektor. On retrouve le même esprit, chamber pop au piano, sur Turbines / Pigs (le meilleur titre selon certains - toujours avec May Kershaw au chant) qui est certes plutôt joli mais n'est pas plus révolutionnaire que le premier morceau d'Amanda Palmer venu. Je ne pensais pas retrouver Black Country, New Road sur ce terrain là, ce qui montre à quel point le groupe a changé de braquet, même si on retrouve évidemment des passages plus nerveux et une manière de sonner qui font croire que l'esprit Black Country, New Road est toujours présent.

A ce titre, le meilleur morceau du concert est sans doute l'ouverture, Up Song, qui associe plutôt bien l'univers étrange du groupe, sa signature sonore singulière, et l'énergie plus ouverte et accueillante qui semble être la nouvelle voie empruntée par la bande de Tyler Hyde. Au début, ça surprend, il y a trop de joie simple dans ce motif de piano hyperactif et cette mélodie reprise en chœur, mais finalement c'est plutôt bien balancé. Gageons qu'à force d'habitude, la nouvelle approche du groupe finira par paraître aussi évidente. A vrai dire, je suis surtout curieux d'écouter le prochain album studio du groupe, avec de nouveaux morceaux ou même ceux de ce concert. Il se peut que certains reproches que je fais ici (le manque d'envergure, l'aspect parfois linéaire et l'interprétation chaotique) seraient atténués sur des versions studio bénéficiant d'une meilleure production et d'arrangements plus travaillés.

benton
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Albums 2023 écoutés et Les meilleurs albums de 2023

Créée

le 23 août 2023

Critique lue 176 fois

4 j'aime

benton

Écrit par

Critique lue 176 fois

4

Du même critique

Beach House
benton
9

Critique de Beach House par benton

Je ne sais par quel miracle la musique de Beach House arrive à créer une nostalgie de rêveries insondables. Les mots ne sont pas assez forts pour évoquer le pouvoir étrange des chansons de ce groupe...

le 8 juin 2012

23 j'aime

5

Goodbye and Hello
benton
8

Critique de Goodbye and Hello par benton

Tim Buckley est presque aussi connu, si ce n’est plus, pour être le père de Jeff Buckley que pour sa musique, et c’est finalement un bien triste constat. Car il suffit d’écouter les albums de Tim...

le 1 juin 2013

17 j'aime

1

The Thin Red Line (OST)
benton
10

Critique de The Thin Red Line (OST) par benton

Thin Red Line, alias La Ligne Rouge, sans doute un des plus « beau » film de guerre qui existe, un des plus émouvant et poétique. La scène qui m’a le plus marqué, outre les sublimes plans au milieu...

le 1 juin 2013

17 j'aime