Live in Dolorès / Murat en plein air (Live) par bisca

Murat des villes, Murat des champs. Murat signe un double album où ses chansons osent enfin vivre sans confort moderne, nues dans les champs. Des champs de mines, traversés glorieusementÇa faisait riche, ça faisait parisien, ça faisait moderne : à la fin de la guerre, on massacra ainsi des centaines de maisons du Massif central, tartinant le granit de crépi, échangeant les lauses du toit pour les tuiles rouges qui faisaient baver le voisin. Les gens raisonnables, qui aiment les murs droits, le formica et les sols plastique, auront ainsi l'impression de sauver des hameaux de l'érosion du temps, quitte à faire ressembler la campagne à des faubourgs. Les mêmes ­ hommes pragmatiques, au sens commun coiffé avec une raie impeccable ­ ont souvent voulu ainsi la musique de Jean-Louis Murat : moderne, propre, fonctionnelle. Qu'elle ressemble un peu à un faubourg, coincée entre la campagne ­ on récolte ainsi l'auditoire Nature & Découvertes ­ et la ville ­ cet endroit éclairé d'où émettent les radios, d'où démarrent les diktats. Ainsi, on a souvent tartiné le granit de Murat de crépi, tout en laissant quelques pierres et poutres apparentes, pour le folklore. Pas de chance pour les raisonnables, on avait vu un jour ce à quoi pouvait ressembler un Murat décrépi. Grâce au quotidien Libération ­ qui avait offert à ses lecteurs un bonheur inestimable, le CD Murat en plein air, enregistré dans les montagnes protégeant la chapelle de Roche-Charles, cinq chansons écoutant plus les buses pattues que celles du commerce ­, on le vit ainsi privé de tout confort moderne, débarrassé de ses rythmiques Conforama, de son électricité But. Cette photo à poil fit beaucoup de mal à Murat : on le trouva ensuite souvent beaucoup trop habillé, beaucoup trop engoncé. On nous dit, poliment, qu'il était vilainement élitiste de préférer ce Murat invendable, ce Murat plein de terre, dégueulasse, ce Murat sanglier, ce Murat parti faire son fromage de chèvre musical, plein d'asticots et d'odeurs mâles. Qu'il était utopiste de bouder ainsi les réalités économiques ­ c'est fou comme l'industrie du disque parle parfois comme Chevènement. D'où cette victoire inespérée, cette joie vaguement poujadiste et même pas honteuse : retrouver Murat en pierre de taille, ses chansons de guingois assemblées à la boue plus qu'au ciment gris.On passera sur le Murat en plein air, sur ces Dordogne ou Berger de Chamablanc : ces chansons inouïes sont, depuis des années déjà, classées Parc naturel national, intouchables. Par contre, on comprend mieux, à l'écoute de Live in Dolores, pourquoi on n'avait guère eu de rapports charnels avec Dolores : la batterie y était un ennemi de l'amour, un bromure salement puissant. Souvent, on a rêvé entendre Murat sous-traiter ses rythmes du côté de Chicago, entendre la batterie prodigieuse de John McEntire ne donner à ces mélodies mollusques que le strict nécessaire de squelette. C'est ce qui rend ce disque en concert ­ un concert sans mains qui martèlent le rythme, comme s'il était écrit quelque part que le public avait le moindre droit de s'inviter dans la musique ­ si séduisant : débarrassées des jalons et du train imposés par la batterie systématique, les chansons peuvent avancer à leur rythme, sans itinéraire, s'égarer magnifiquement dans les tréfonds d'un harmonica (Perce-neige) ou dans un tunnel aux ombres époustouflantes (Au fin fond d'une contrée, chanson d'Akhenaton adoptée avec un aplomb et une familiarité grandioses).Pas un hasard si, sur la pochette, on voit un Murat immobile puis un Murat courant (dire aux hommes faibles ?) dans les champs. Entre relâchements savants ­ ne pas oublier que Murat a été, en France, l'un des premiers et plus virulents ambassadeurs du génie Talk Talk ­ et fulgurances de faux mou ­ ne pas oublier que Murat, quand il fume le calumet de la paix dans les prairies de la Croix-Moran, converse en chipenwyans avec Neil Young ­, Live in Dolores réussit ce précieux et complexe tissage entre bure et shantung. Rustique et sophistiqué (La Chanson de Dolorès), il renvoie à la bergerie quelques clichés solidement accrochés aux godillots de l'Auvergnat, qui n'est bien entendu ni un chanteur-Giono ni un geignard-Doillon ­ par contre, on ne dira jamais assez à quel point Murat se dit, en verlan, Ramuz. Un équilibre dont quelques grains de sable (le vilain Benito, le facile L'Excursion au mont d'Or) viennent immédiatement rappeler la fragilité, l'anormalité. (Inrocks)

bisca
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le 5 avr. 2022

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