L'histoire est connue : au début des années 70, après la sortie de Tommy, Pete Townshend se lance dans un projet encore plus fou. Lifehouse est un autre album-concept couplé à un scénario de film, basé sur une idée simple : seul le rock peut sauver le monde. Que ce soit dans un hypothétique futur dystopique dominé par les réalités virtuelles ou bien ici et maintenant, aujourd'hui, en 1971, au Young Vic. Chaque spectateur est une vibration, une note ! Et les notes de chaque spectateur sont un reflet de la note parfaite, celle qui apportera l'harmonie au monde.
C'est superbe. Et bien sûr, ça s'est méchamment cassé la gueule. Que Who's Next, l'album issu des décombres de Lifehouse, soit un tel chef-d'œuvre est une preuve du talent inouï des Who. Le projet va cependant continuer à hanter le guitariste au gros nez. On le devine au tournant dans certains titres de Who Are You. En 1993, Psychoderelict s'en inspire en grande partie (pour des résultats, hum, mitigés). En 1999, la BBC produit une pièce radiophonique inspirée de Lifehouse. L'année suivante paraissent les Lifehouse Chronicles, six disques comprenant les démos originales de Townshend, la pièce radiophonique et d'autres chutes bourrées de synthé.
Pour en arriver à ce qui nous intéresse : en février 2000, Townshend donne deux concerts au Sadler's Wells Theatre de Londres, accompagné du London Chamber Orchestra, dédiés à la musique de Lifehouse. Pour ceux qui craignent un nouveau Psychoderelict, pas de panique : l'intrigue est ici laissée de côté et la musique règne en maîtresse. Et quelle musique ! Pete est en pleine forme, son groupe aussi, et l'orchestre ajoute une saveur exquise à l'ensemble. Quel plaisir d'entendre un Goin' Mobile encore plus exubérant que l'original, avec un Peter Hope-Evans déchaîné à l'harmonica ! Et entendre un orchestre jouer le riff de Bargain, la plus grande chanson d'amour de tous les temps dont personne ne parle jamais, ça ne peut que vous faire chavirer l'âme. Même les chansons qui servaient un peu à combler les trous dans le projet d'origine, comme Greyhound Girl, sont positivement transfigurées grâce au soutien de l'orchestre.
Pour moi, c'est l'incarnation la plus satisfaisante du fantomatique Lifehouse. Comparé à d'autres projets morts-nés de l'histoire du rock, il s'en tire étonnamment bien.