Lost Souls
7.5
Lost Souls

Album de Doves (2000)

Dans l'industrie informatique, on appelle ça du vaporware : un produit révolutionnaire que l'on annonce bruyamment, dont tout le monde parle et qui, finalement, ne vient jamais. De façon similaire, la presse musicale anglaise créee régulièrement ce qu'on pourrait appeler des "vaporbands" : des groupes révolutionnaires dont tout le monde parle et qui repartent aussi vite qu'ils sont venus. Les Doves ont tous les ingrédients du "vaporband". D'abord une légende de ph nix : sous le nom de Sub Sub, ils avaient décroché un hit indie-dance il y a quelques années (?) avant que le feu n'engloutisse leur studio, le groupe et un album prometteur. Une origine qui fait toujours recette : Manchester. Une histoire de famille qui pourrait dégénérer : comme Oasis ou Embrace, les Doves sont conduits par des frères. Un style idoine enfin : les Doves sont un grand groupe épique à guitares. The Verve séparé, Oasis pestiféré, Embrace grillé, Travis trop léger et Radiohead trop inaccessible, un tel groupe, puissant et emblématique, manquait cruellement à l'Angleterre. De Gay Dad à Terris, on a néanmoins appris à se méfier de ce genre d'agitation médiatique et les Doves partaient avec une sacrée valise de préjugés. Mais il y a autant de mauvaises raisons pour détester a priori les Doves que de bonnes pour les aimer a posteriori. Car Lost Souls est véritablement un bon disque. Pas tout à fait un chef-d'œuvre mais suffisamment abouti et personnel pour que l'on parie sur une carrière plus brillante que celle de Shed Seven. Tendu et sombre, Lost Souls rappelle A northern soul, le deuxième album maudit de The Verve. Quand les Doves regardent le bout de leurs chaussures, c'est parce qu'ils jouent au bord d'un gouffre. Parfois ils tombent (Catch the sun, dispensable morceau d'Amérique), mais plus souvent leurs grandes machines restent en équilibre et suscitent l'admiration (The Cedar room, Here it comes, Rise). Un disque d'orage sous une pluie battante. Car de ce côté-là rien de nouveau : il pleut toujours à Manchester.(Inrocks)


Perdus, les Doves, ou plutôt Sub Sub, leur première incarnation proto-house, auteur par accident du tube Ain't No Love (Ain't No Use) en 1992, l'ont été. Pas grand-chose à se mettre sous la dent, jusqu'à ce premier album des jumeaux Williams et de leur ami Jimi Goodwin sous leur nouveau nom. Entre-temps rien, ou bien des trésors... perdus, ou plutôt introuvables, et donc rayés d'avance de la grande histoire de la pop. Mais de la force d'âme, les Mancuniens en ont toujours eu, et ont su ainsi faire fructifier un talent naturel initialement mis à mal par une exposition trop précoce au grand jour. D'où Lost Souls, qui s'ouvre par un Firesuite instrumental, nouvelle version d'un morceau de Sub Sub qui fait ainsi le lien avec le passé, avant le grand voyage dans l'inconnu. Ces apprentis musiciens un temps séduits par la house ont préféré découvrir ce qu'ils n'avaient jamais vraiment connu, enregistrer des chansons avec des instruments classiques, les jouer devant un public et s'élever mutuellement vers des sommets mélodiques plutôt que de dompter des machines. Surprise, surprise, le trio maîtrise parfaitement son sujet, tout en ayant retenu de ses aventures au pays des homestudios de quoi se passer d'un producteur, excepté sur Catch The Sun. C'est Steve Osborne (Happy Mondays, Placebo, Suede) qui s'y colle, pour un résultat en forme de tube potentiel, proche de l'extraordinaire 1979 des Smashing Pumpkins. Autre tube, assuré, celui-là, de l'autre côté de la Manche, Here It Comes ressemble à s'y méprendre à une magistrale "cacahuète" propulsée dans la lucarne des légions britpop. Break Me Gently laisse à penser que les Doves, plus jeunes, ont beaucoup écouté Bummed des Happy Mondays. Bien leur en a pris, ils en ont retenu le meilleur, loin des recettes baggy qui veulent que ne pas savoir jouer ni chanter est un atout. Pour les sceptiques qui préféreraient attendre le premier album de Badly Drawn Boy, autre ami du trio, tout est prévu. Ainsi, sur Melody Calls, l'illusion est si troublante que la présence au micro de Damon Gough ne surprendrait personne, tout comme celle de Johnny Marr et son harmonica, lequel se fait également entendre sur Rise. Quant à ceux qui ne jurent que par le Grace de Jeff Buckley, qu'ils jettent une oreille sur Sea Song plutôt que sur le morceau-titre, hommage (involontaire ?) au Across The Universe des Beatles. De près ou de loin, il s'agit là du seul moment où pourrait être évoqué le nom d'Oasis, formation tutélaire, qu'ils le veuillent ou non, pour tous ceux, mancuniens ou pas, qui ont tenté leur chance hors de la Grande-Bretagne depuis le milieu des années 90. C'est que, malgré tous les rapprochements précités ou un penchant prononcé pour une certaine new wave, le son des Doves n'appartient qu'à eux. Mieux, même à nu, le déchirant The Man Who Told Everything tiendrait debout, fier et droit, comme ces trois amis qui sont allés au bout de leur démarche et en sont revenus avec de telles chansons. The Cedar Room ne déroge pas à la règle, malgré une ascendance à la The Verve, première époque. A House conclut l'affaire en beauté, et il faut plusieurs minutes pour se remettre du niveau d'excellence qui vient d'être atteint par trois Anglais d'apparence bien tranquilles, mais qui viennent d'ajouter leur pierre, tout comme "Rinôçérôse", The Aloof ou Death In Vegas, dans le jardin des musiques électroniques et d'en perturber l'impeccable ronronnement. (Magic)
Groupe à frères, originaires de Manchester, et auteurs en 1997, sous le nom de Sub Sub, d'un hit-single avant que leurs illusions ne brûlent avec le studio qui abritait les bandes de leur premier album, les Doves possèdent donc tout pour devenir de parfaites têtes à claques du rock anglais, dont les disques ne seront jamais à la hauteur d'une hype artificiellement montée. Ce qui serait injuste - on est loin de "OK Computer" ou des promesses du nouvel album solo de Richard Ashcroft mais "Lost Souls" (ce titre, franchement...) ressemble à une copie de bachelier studieux et appliqué à laquelle, bien qu'il n'y décèle encore aucune trace de génie, le correcteur attribue finalement pour l'effort une note légèrement supérieure à la moyenne. En matière de citation de bons auteurs, ce disque est en effet le bazar d'Istanbul de la pop d'Outre-Manche : on y trouve pêle-mêle le Floyd, les La's (sur le charmant "Melody Calls"), les Stone Roses dès que la transpiration prend le pas sur l'inspiration, deux doigts de trip-hop et The Verve phase terminale dans les arrangements de cordes de "The Man Who Told Everything". L'évaluateur aurait bien aimé une introduction moins pénible et une conclusion avec un peu plus de substance, regrettera que certaines chansons ne soient pas aussi courtes qu'elles auraient gagné à l'être mais trouvera dans la deuxième partie de l'album (l'impeccable triplette "Catch The Sun", "The Man Who Told Everything", "The Cedar Room") suffisamment de potentiel pour laisser le groupe accéder à la classe supérieure. Et il ira vérifier lui-même cet été dans la boue des festivals britanniques la rumeur selon laquelle les Doves atteignent sur scène la dimension qui manque à ce disque un peu besogneux.(Popnews) 
bisca
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le 22 mars 2022

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