Suite à un Stronger Than Pride artistiquement un peu décevant et malgré un public toujours fidèle, Sade a quasiment disparu de la circulation et ce n’est que quelques années plus tard, au moment où Metallica et Nirvana sont en train de casser la baraque, que paraît le quatrième opus des londoniens Love Deluxe (1992). Mention spéciale à la pochette où la chanteuse pose nue (on ne voit rien bande de pervers, cessez immédiatement de zoomer) avec une sensualité dont devrait s’inspirer les lolitas vulgaires et interchangeables et autres analphabètes dépenaillées qui pullulent à l’heure actuelle.
Étant donné l’orientation du disque précédent et le relatif manque d’inspiration qui l’accompagnait, on pouvait craindre que Sade ne tombe dans les affres de l’oubli et / ou ne se mette à proposer de la Pop conventionnelle pour mous du bulbe…
Que nenni ! Les fans n’ont rien oublié, et au contraire sont ravis de revoir la mystérieuse et sensuelle Sade (comment se construire une image forte et durable de façon naturelle et gratuite, un cas à faire cogiter les spécialistes du marketing) ce break de quatre ans n’a visiblement fait que du bien au combo qui parvient à extraire ici la quintessence de son art et du sens de la composition. Alors certes nous sommes assez loin du style jazzy / funky des deux premiers albums, le saxophone et la basse y prennent moins de place, mais les anglais ont clairement donné ici encore plus d’importance à leur chanteuse, parce qu’elle le vaut bien.
Sade Adu chante toujours l’amour avec un grand A bien entendu, avec No Ordinary Love qui apparaîtra d’ailleurs sur la bande originale du film Proposition Indécente, elle semble exposer à cœur ouvert ses sentiments personnels, donnant à ce morceau d’ouverture une force émotionnelle rare. Les techniques et le matériel d’enregistrement ayant également évolué en ce début des 90’s, le son est cristallin et les arrangements sont superbes, que ce soit les interventions subtiles du claviériste Andrew Hale ou la guitare discrète mais du meilleur effet de Stuart Matthewman.
Quelques mutations importantes sont à noter par rapport aux réalisations précédentes, en premier lieu Sade aborde ici des sujets de société plus graves et ne se cantonne pas à évoquer les relations humaines, ensuite on perçoit désormais quelques influences Reggae / Trip Hop, particulièrement sur Feel No Pain et ses rythmes lancinants sur lesquels le bassiste Denman se fait plaisir, aux textes évoquant avec empathie le problème des problèmes d’emploi chez les classes pauvres. Pour ceux qui ne connaissent pas le clip de ce morceau, Sade est probablement la seule à parvenir à dégager autant de sensualité en parlant du chômage, plus qu’Elisabeth Borne et Edith Cresson en tous cas… Le zénith émotionnel de ce disque est atteint sur l’intimiste Like a Tattoo, chanson qui évoque le traumatisme d’un vétéran ayant côtoyé et donné la mort, thème peu commun chez Sade, où la guitare acoustique et le synthé tout en retenu d’Andrew Hale accompagnent la voix si sensible de la belle : une balade de laquelle il émane une grande tristesse. Toujours dans les sujets graves et dans la même veine musicale, Pearls évoque la misère en Afrique et ces femmes en quête d’eau pour aider leur famille à survivre.
La mélancolie est la trame principale du disque, tel un fil rouge elle s’insinue dans l’esprit pour ne plus le quitter, Cherish the Day ne fait pas exception avec sa guitare plaintive et sa basse groovy. Kiss Of Life l’un des principaux singles de l’album est malgré tout plus enjoué, (la mélancolie positive est un thème déjà récurrent chez Sade, comme sur When Am I Going To Make A Living notamment), nous sommes même proches des grands clichés sur l’amour... Mais à y regarder de près en se penchant sur un style dont je suis plus familier, chacun ses stéréotypes : Bolt Thrower et son obsession de la guerre, Deicide et ses hommages au malin ou encore Tankard et son amour de la boisson, rien de choquant ou risible en ce qui me concerne donc… Dans tous les cas c’est un morceau entraînant avec une assise rythmique imparable : logique vu que c’est un des seuls où le bassiste Paul Spencer Denman est crédité.
Alors non, impossible de trouver le moindre reproche à faire à ce quatrième album, et surtout pas sur l’instrumentale finale Mermaid qui semble incarner un rêve. Chaque titre de Love Deluxe touche encore plus qu’avant l’auditeur dans son âme et celui-ci est irrémédiablement charmé par les subtilités de ce disque et la voix enjôleuse et au timbre grave si particulier de la chanteuse.
Si Promise était l’album de la maturité, Love Deluxe est celui de la plénitude, moins jazzy que Promise, moins funky que Diamond Life, mais plus moderne, surtout dans le son et les arrangements. L’album s’est d’ailleurs vendu à quatre millions d’exemplaires rien qu’aux USA et reste la plus grande réussite commerciale du groupe.
Pour ma part le meilleur album de Sade, le plus homogène et le plus abouti. Après avoir défendu l’album sur scène lors d’une tournée mondiale conséquente, on ne reverra plus Sade avant le prochain millénaire.