Love Over Gold
7.6
Love Over Gold

Album de Dire Straits (1982)

Ça y est, la transformation de Dire Straits prend fin, les voici plus nombreux, plus matures, plus inspirés, prêts à affronter les stades pour des concerts d’anthologie. Après un Making Movie inspiré et foutrement jouissif, marqué par l’apparition du clavier dans les compositions, Mark Knopfler et sa bande se ramènent avec ce qui sera sans doute leur projet le plus ambitieux Love Over Gold.


Love Over Gold marque l’arrivée d’Alan Clarke aux claviers et qui y restera un bon bout de temps. Hal Lindes vient également rejoindre la bande et devient le remplaçant officiel de David Knopfler à la guitare rythmique. Et bien évidemment, on retrouve John Illsey à la basse, incroyable dans certaines pistes (Private Investigations), Mark Knopfler au chant, à la lead guitar et la composition (comme d’habitude), et pour la dernière fois Pick Withers à la batterie.


Et parlons de Pick Withers, car j’estime que Love Over Gold est son heure de gloire. Alors certes, il ne participera pas à la tournée promotionnelle de l’album (et sera remplacé par Terry Williams que je trouve encore plus génial), mais d’un point de vue purement artistique, Pick Withers est à son sommet dans Love Over Gold. Jamais la batterie ne sera aussi puissante chez Dire Straits. Je m’y connais très mal en batterie, mais contrairement aux trois albums précédents, Pick Withers fait ici preuve d’une singularité bien plus prononcée.


En fait, il n’y a pas que la batterie qui est à son sommet dans cet album, chaque instrument y a une place importante. Jamais les claviers n’ont été aussi beaux, jamais la basse d’Illsey aussi présente, et jamais Knopfler n’a été aussi bon. Ce serait peu dire que les arrangements de Love Over Gold sont monstrueux, la production grandiose, bref, on a là, un album bien plus élaboré que les précédents.


Donc d’un point de vue purement instrumental, Love Over Gold est une bête, un monstre ! Mais qu’en est-il des chansons en soi ? Ça dépend… On retrouve exactement le même syndrome que chez Making Movies, les deux premiers morceaux surpassent clairement les autres. Après, cas assez particulier, Love Over Gold ne contient que cinq morceaux, mais des longs. Donc dans les morceaux un peu oubliés, pas qu’ils soient mauvais, mais clairement moins marquants que les deux premiers, on a tout d’abord Industrial Disease. Un morceau très endiablé qui me rappelle pas mal la première période du groupe, mais toujours avec le clavier. Et je préfère quand le clavier est là. Pareil pour It Never Rains, un morceau vraiment dansant, au rythme rapide avec un Knopfler qui s’amuse au chant. On a également le morceau titre, Love Over Gold, bien plus calme, laissant la part belle aux instruments.


Et j’en viens donc à Private Investigations et Telegraph Road. En fait, je me rends compte que Love Over Gold est construit sur une alternance entre morceaux à la rythmique très rapide, et des morceaux bien plus posés. Private Investigations et Love Over Gold sont clairement des morceaux posés. Pour la première fois, Mark Knopfler lâche sa strat pour une guitare acoustique (classique pour le coup) et fait des merveilles dans Private Investigations. Un morceau tout en finesse, vraiment beau pendant quatre minutes avant de revenir à quelque chose de bien plus puissant avec le retour de la guitare électrique et une conclusion vraiment marquante.


Et je fini donc avec le morceau d’ouverture, le morceau de quatorze minutes, le mastodonte de Love Over Gold, ce morceau qui m’a fait acheter des tickets pour aller voir Mark Knopfler en concert pour que finalement, il ne le joue pas. Ce morceau, c’est Telegraph Road. Je me souviens encore de ma première écoute de Telegraph Road, une nuit où je n’arrivais pas à dormir, la consternation à l’écoute du solo final. Le morceau m’avait tellement épaté que je ne m’étais même pas rendu compte qu’il durait quatorze minutes, immédiatement, je l’ai réécouté. Plus je l’écoutais, plus ce morceau m’invitait à quelque chose d’unique, et ce serait peu dire que Telegraph Road est un chef d’œuvre, il figure à ce jour dans mon podium de mes chansons préférées.


Tout dans Telegraph Road est à tomber par terre, à commencer par le texte. Je disais dans ma critique de Making Movies que Mark Knopfler commençait à raconter des histoires dans ses chansons, l’histoire de Telegraph Road est la plus belle qu’il ait écrit. Telegraph Road raconte l’histoire d’un homme parcourant une longue route longée par les poteaux télégraphiques. Cet homme va poser ses bagages et commencer à construire un village au bord de cette route. Il sera rejoint par d’autres et ensemble, ils vont amener la justice et l’éducation. Mais avec l’arrivée de notion telle que l’argent (« the ore », les minerais), les conflits se créent, les inégalités apparaissent et la guerre ravage tout sur son passage. Les vestiges de cette guerre laissent derrière eux un modèle du travail anarchique, complètement à la ramasse et les poteaux télégraphiques planent alors comme une ombre menaçante sur un habitant qui tente de fuir (« But believe in me baby and I’ll take you away/ From out of this darkness and into the day […] I’ve seen desperation explode into flames/ And I don’t wanna see it again »). Pour moi, ce texte parle de l’Amérique, de ses promesses et de son dépérissement, de sa construction à sa destruction avec toujours ce poteau télégraphique semblant observer le temps qui passe.


Je pourrai analyser tout le texte, vers par vers, mais il me faudrait des dizaines de paragraphes supplémentaires et Telegraph Road ne se résume pas qu’à son texte. Telegraph Road, c’est aussi une sorte de duel entre le clavier d’Alan Clarke et la guitare de Knopfler. Les deux semblent se répondre durant de longues parties instrumentales qui divisent les couplets (permettant d’indiquer le passage du temps dans l’histoire). Ajoutons à cela quelques effets sonores (le bruit d’un immeuble qui s’effondre, le discret bruit de verres qui s’entrechoquent lorsque Knopfler évoque les riches) et vous avez un morceau éminemment riche dans ses compositions.


Et puis merde, il y a ce solo final de quatre minutes tout juste spectaculaire. Là encore, c’est une réponse entre la guitare de Knopfler et le clavier de Clarke, et là encore, ça tient du génie. Dans mes critiques précédents, je disais que tous les instruments étaient au service de la guitare de Knopfler. Ce n'est plus le cas ici. Il arrive très souvent que la guitare de Knopfler se confonde avec les autres instruments, Knopfler fait corps avec son groupe, il n’est plus au-dessus de ses comparses, il est avec eux, il danse avec eux, joue avec eux, et c’est cette union si unique qui rend le final de Telegraph Road aussi beau. Ce n’est pas un solo de génie parce que la guitare se démarque du reste, c’est un grand solo parce qu’il sait prendre en compte chaque instrument et permet à chaque membre de donner le meilleur de lui-même (c’est notamment dans ce solo final que Pick Withers montre tout ce qu’il a dans le ventre, et bon sang, il est bon).


Merde, voilà. Telegraph Road est grandiose ! Telegraph Road est parfait et tient en quatorze minutes, tout ce que le groupe a su faire de meilleur. Chaque membre est parfaitement à sa place, et c’est la preuve que Dire Straits est un groupe d’incroyables musiciens. Ça se voit encore plus avec les concerts live, mais Telegraph Road est la pièce maîtresse du groupe.


Donc que dire de Love Over Gold ? Les arrangements sont monumentaux, jamais les instruments n’ont été aussi bien maniés, les compositions de Knopfler sont sidérantes et ses textes sont à tomber par terre. Et puis y a Telegraph Road. Alors certes, certains pourront trouver Love Over Gold un peu lassant, surtout sur sa fin, puisque l’album donne tout dans ses débuts. Mais merde, quand un album présente d’aussi grandes qualités, moi, je ne peux que me prosterner. Je commençais ma série de critique en disant que Making Movies était le meilleur album de Dire Straits, et bah non. Je pense désormais que Love Over Gold est le plus aboutit, et ce, sur tous les points. Arrangements, compositions, textes, chants, instruments, tout est réuni pour faire vivre à l’auditeur quelque chose d’unique. Même la pochette est la plus belle du groupe. Bref, du grand rock, du grand Knopfler, du Dire Straits quoi.

James-Betaman
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le 16 mars 2020

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James-Betaman

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