15 février 1974, je me dirige au CEGEP Maisonneuve pour voir le Soft Machine par un vendredi soir qui devait probablement être glacial comme l'est février au Québec. Lendemain de Saint-Valentin qui ne voulait toujours rien dire. Wow Soft Machine ! Ils ne sont pas venus depuis 69, première partie de Hendrix. Le 7 vient de sortir, et il est pas mal du tout le 7, contrairement au 4 &5. Le 6 avait été pas pire aussi. Donc ça devrait être un show, au moins intéressant. Mais quel est ce groupe en première partie ? : Maneige ?
Et bien Maneige on l'a eu dans la gueule avec ce premier album . Ils explosent comme un jeune ado qui vient de faire une fugue de la maison, est heureux de vivre et de découvrir le monde, bref de s'amuser. Tel est ce premier album, les jeunes sont sortis du Conservatoire de musique, ça parait un petit peu encore , mais ils foutent le feu à leurs instruments. Une richesse de composition, un entrain endiablé, un petit chef d’œuvre.
Et ils n'y vont pas de main morte pour ouvrir le carrière discographique un morceau de 21 minutes: Le Rafiot...quelque part entre la musique de Nino Rota (Fellini) un Zappa qui aurait passé par une chambre de décontamination d'hermétisme et quelques influences de compositeurs modernes , sans jamais tomber dans la gratuité de l’exhibitionnisme culturel . Maneige ne tombe pas dans ses pièges comme Gentle Giant. Maneige est doux, mélodieux, sensuel, surtout chaud. À l'image du Québec. Et son génie sort dès le premier morceau qu'il donne à écouter . Le Rafiot est somptueux, mélodique et à la fin on dirait qu'il survit miraculeusement à la noyade dans la joie d'un Frère Jacques (si si ils finissent avec cela !) qui arrive joué par des moussaillons qui s'amusent.
Une Année Sans Fin qui ouvre le deuxième côté joue dans les mêmes eaux avec des musiciens qui s'amuseraient sur la plage, avec un ballon, après avoir débarqué du rafiot sur lequel ils naviguaient. La musique devient inquiétante par moments, comme si ils avaient perdu le ballon , pas plus. La guitare électrique tranche l'air subtilement , on va dans tous les sens, comme un party de fin d'année ! Brillant ! Ça se tient ! Il faut le faire !
Jean-Jacques qui enchaîne est plus rock. La basse somptueuse et lourde et légère à la fois, la flute magnifique d'Alain Bergeron emporte la chanson dans la perfection. Le piano en cascades de Jérôme Langlois finit d'achever nos oreilles. C'est du sublime...le manège est ennivrant ! ces gars ont du génie.
Galerie III qui finit l'album original ouvre Maneige dans la folie totale, du chant incompréhensible au cri de gagne qui l'ouvre, on s'amuse chez Maneige très intelligemment et avec une sensibilité étonnante. Et quand la jolie mélodie de carrousel embarque à 3minutes, il y a longtemps qu'on a été totalement conquis.
Ce soir là Soft machine et son jazz glacial n'avait aucune chance contre Maneige. Maneige leur volèrent littéralement la vedette. Dès qu'ils eurent fini, ils vinrent s'asseoir par terre, juste à côté de moi dans ce minable gymnase et ils écoutèrent le Soft joué. Il était clair qu'ils étaient fascinés plus que le public par le Soft, qui lui s'ennuyait déjà ferme de ce groupe génial qu'il venait de découvrir.
Ce n'était que le début et Maneige allait porter au firmament le rock progressif Québécois comme personne ne l'avait jamais fait et ne le ferait jamais. Un style unique. Du génie !
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La réédition CD comporte un Jean-Jacques Live dont je ne vois pas beaucoup les différences avec celui studio sinon peut-être un peu plus punché.
Il y a aussi un inédit Tèdetèdetèdet live et ça c'est tout un bonus...On aurait pris encore une heure et plus de bonus! Un miracle à chaque morceau.