Master par Claire Magenta
Pour reprendre le non moins célèbre Bâfrons des Chroniques de la haine ordinaire de Pierre Desproges, le blogueur n'est pas fait pour écouter continuellement une musique de haute tenue. Après avoir dégusté de si délicieux mets que le nouveau Jason Mraz, James Blunt et autre Josh Groban, vous vous demandez si finalement un peu de gras dans cette soupe aseptisée ne vous ferait pas tant de mal que ça. Un peu de sauvagerie n'a jamais tué personne, qui plus est quand cette dernière vous est servie par tonton Paul Speckmann.
Dans la série pléonasme, le fait de lire que telle formation de death metal est culte a de quoi faire sourire le vieux metalhead. Et bien qu'appartenant aux premiers groupes du genre au même titre que Death, Possessed ou Morbid Angel, Master peut-il vraiment prétendre à cette (futile) mention ? Car contrairement à la formation de Chuck Schuldiner ou celle de Trey Azagthoth, celle de Paul Speckmann n'a connu aucune réelle évolution depuis sa création au début des 80's, et a surtout finalement que très partiellement influencée la scène extrême de ces vingt-cinq dernière années. Mais alors pourquoi perdre son temps à écrire un post dont même le dernier métalleux se fiche ? Déjà parce que j'ai du temps libre, et puis pour continuer sur une fibre nostalgique 80's, débuter lors d'un précédent billet, il serait dommage de faire l'impasse sur un album qui porte haut les couleurs du death metal old school US.
Formé en 1983 à Chicago par le bassiste Paul Speckmann et le batteur Bill Schmidt, Master, provient du désir de ces deux musiciens à suivre une voix plus agressive après leur départ du groupe War Cry. Pour rappel, la scène extrême fut en pleine ébullition durant les années 80 et Master, bien que reconnu parmi ses pairs et parmi les adeptes du tape trading, n'arrivera jamais à sortir de l'anonymat contrairement à Possessed qui devint finalement le premier groupe de death metal à sortir un album. Cruelle désillusion pour Speckmann puisque Master signa un contrat avec le label Combat Records fin 1985, mais contrat rendu caduc devant les exigences financières de leur manager de l'époque et d'une partie du groupe. Durant la seconde moitié des 80's, Speckmann and co purent ainsi « à loisir » constater l'étendu des dégâts. Master avait certes le statut de groupe culte, pouvait s'enorgueillir d'être les parrains de la scène extrême de Chicago, mais était devenu juste spectateur de ce nouveau tourbillon musical. Mieux vaut tard que jamais, à la fin de la décennie, le label Nuclear Blast signa finalement un contrat au groupe de Speckmann ainsi qu'à son side-projet, Abomination.
En 1990 sort le premier album éponyme de Master. Album qui a déjà une originalité, celui d'avoir été enregistré deux fois. Les prestations du batteur Bill Schmidt et du guitariste Chris Mittlebrun n'étaient pas du goût du label allemand. Aaron Nickeas (batterie) et Jim Martinelli (guitare) réenregistrèrent ainsi les nouvelles parties. Second mérite et non des moindres, Master réussit à l'heure de sa sortie à être déjà daté. Master fait en effet difficilement concurrence aux nouveaux groupes issus de la scène floridienne, Obituary et Deicide en tête. Si la recette bestiale éprouvée par Possessed arrivait encore à faire illusion en 1985, le Scream Bloody Gore de Schuldiner, publié deux année plus tard, leur donna un sérieux coup de vieux. Death y redéfinissait la feuille de route et le futur dessein du death metal, la postérité ne retenant quant à elle à Possessed « que » la paternité du patronyme de ce nouveau genre.
Master officie dans un style qu'on pourrait qualifier de proto-death metal, un métal extrême ultra basique, trois accords, une batterie ultra-binaire, le tout mâtiné d'une sauvagerie de bon aloi. Un style en somme qui rappelle très fortement les débuts de Bathory, le père du métal extrême européen, le black metal. Bref, tout cela n'a pas l'air très engageant. Pourtant, admettons que pour une fois la formule bestiale proposée par Paul Speckmann est des plus réussies, qui plus est pour un trio, un ensemble rarement rencontré dans le monde du death/thrash metal. Des vocaux écorchés plus proche du thrash que du death, des textes qui vont à l'encontre des clichés habituels lorgnant vers le punk (Speckmann avouant l'influence qu'ont pu avoir des groupes tels que Discharge, the Exploited ou Minor Threat), une production étonnamment bonne (contrairement aux premiers albums des futurs cadors du genre sortis à la même époque) et enfin une reprise de Black Sabbath, Children of the Grave, totalement enthousiasmante, tout cela fait de ce premier album une œuvre plus que recommandable, mais aussi et surtout un disque insurpassable pour son auteur.