On a aujourd'hui tendance à regrouper sous le label "Trip Hop" les albums d'électro mollassons aux beats vaguement inspirés du Hip Hop et ainsi comparer tout et n'importe quoi à des artistes de la trempe de Portishead ou Tricky, un peu comme s'il suffisait de venir de Bristol pour faire de la bonne musique.
"Maxinquaye" est le premier album d'Adrian Thaws, alias Tricky, après sa séparation d'avec Massive Attack, un des groupes phares de la station balnéaire britannique. Sûrement trop arrogant, trop torturé ou tout simplement pas fait pour le travail en groupe, le Tricky Kid s'émancipe donc et, accompagné de la chanteuse Martina, met en œuvre la création de son premier rejeton en solo.
Insaisissable, "Maxinquaye" brouille les pistes en multipliant les incursions musicales. Tricky navigue entre rap, pop, soul, reggae et rock sans pour autant jamais oublier d'imposer sa griffe, généralement par le biais de rythmiques aux sonorités froides et industrielles. On avance dans un univers sombre, pesant mais terriblement attachant de détresse et de sensibilité.
A l'instar de son physique, la musique de Tricky est inquiétante, déroutante. Sa voix éraillée qu'il semble hésiter à utiliser, a souvent des allures de supplication torturée. Tricky chuchotte, fredonne, toujours au bord du gouffre avec ce charisme minimaliste qui lui est propre.
Il n'en oublie pas pour autant de se montrer assez facétieux : il maltraite sans vergogne le culte mais désormais kitch "Bad" de Michael Jackson sur "Brand new you're retro", reprend à son compte (et avec réussite, surtout grâce à Martina) le "Black Steel" de Public Enemy et fait un clin d'œil aux Smashing Pumpkins sur "Pumpkin".
Fait surprenant, on retrouve le même sample du "Help me love" d'Isaac Hayes qu'avait utilisé un autre groupe de Bristol un an plus tôt (Portishead, sur "Glory box") mais n'est pas Beth Gibbons qui veut et, sans vraiment démériter, « Hell is round the corner » n'égalera finalement pas le classique de Portishead.
Alors que souvent, le manque d'homogénéité à tendance à porter préjudice à un album, il donne à "Maxinquaye" toute sa dimension. Si une ambiance feutrée domine une bonne partie de l'album (le très réussi "Overcome", "Hell is round the corner" où la voix de Tricky fait des merveilles ou encore "Abbaon fat tracks" duo planant entre le compositeur et son égérie), "Maxinquaye" côtoie avec bonheur des sonorités plus rugueuses comme sur "Black steel", un rock survitaminé, ou "Brand new you're retro" où Martina opte pour un phrasé plus rappé.
Reste alors à tous ces morceaux le point commun de véhiculer un certain malaise, de façon plus ou moins profonde (à l'instar de l'inquiétant "Pumpkin" au gong lancinant ou "Suffocated love" et son érotisme sadique) qui peut s'avérer plus ou moins réussi ("Strugglin" devient rapidement pénible).
Toutefois "Maxinquaye" n'est pas qu'un simple solo du kid de Bristol mais également une véritable collaboration avec la douce Martina, si troublante aussi bien dans la douceur que dans la violence, que Tricky prend tant de plaisir à utiliser comme une part intégrante de ses productions. Tantôt survoltée ("Black Steel") ou détachée, Martina survole les productions de son compère pour approcher l'alchimie parfaite.
"Maxinquaye" avait été un des disques majeurs de l'année 1995. Près de 10 ans plus tard, il n'a pas perdu de sa puissance, de son charme. Même si pas totalement dépourvu de défauts (une fin d'album légèrement rébarbative), le premier album de Tricky se révèle être une expérience musicale déconcertante et envoûtante qui ne laisse pas totalement indemne.