« - Paul, comment se fait-il que les deux seules de vos œuvres que vous ayez intitulées de votre nom, McCartney et McCartney II, soient justement celles qui rappellent le moins votre style habituel, l’une parce que très en-dessous, l’autre parce que très à côté ?
– Ben… J’ai appelé ces albums comme ça parce que je les ai faits tous les deux dans mon home studio, rien que moi tout seul…. voilà tout…. C’est simple, non ? »
Si si, et même un peu trop. Car dans ce cas, il faudrait savoir pourquoi, quand McCartney est responsable de tout et seul maître à bord, ça donne deux rubriques-à-brac où McCartney n’est identifiable que dans deux morceaux (respectivement Junk et Waterfalls) ; pourquoi ne pas plutôt intituler, comme j’inclinerais à le faire, WTF et WTF II les albums qui en résultent. Il faudrait savoir aussi pourquoi, quand McCartney est responsable de tout et seul maître à bord, c’est un moins et non un plus, c’est par défaut et non par choix. McCartney, c’est McCartney orphelin des Beatles. McCartney II, c’est McCartney orphelin de Wings, puisque Paul l’enregistra pendant son « lost weekend » à lui, dans la période de flottement qui suivit la dissolution de son second groupe.
Je n’ai pas les réponses. Mais il faut croire qu’ici la perte fut moins grande, car ce qui est sûr, c’est que le WTF sans ambiguïté que m’arrache McCartney est à des années-lumière du WTF complice qui ne me sert qu’à désigner McCartney II comme lieu jouissif de délices inédits. And… always look on the bright side of WTF.
Sous les auspices de l’Ange du Bizarre et à des années-lumière de la zone de confort pourtant étendue de son auteur, voilà où se situe cet album excentrique, fantasque, défricheur et protéiforme. Paul y prend des risques et essaie plein de trucs loin, mais alors très loin de tout ce qu’il a fait et fera : la synthpop japonaise, l’electronica, le dub, le krautrock, le cantique, la disco, la composition expérimentale. Avec un bonheur inégal, mais avec à la fois un amour d’artisan et un humour light de dilettante, et toujours un sens du saugrenu très sûr, détendu et sans prétention.
Evidemment, McCartney II (puisqu’il s’appelle comme ça) s’avéra, et s’avère toujours, avec Back to the egg, l’album le plus clivant de Paul. Certes il jouit d’une fanbase réduite mais passionnée, et il est donc « culte », terme ambigu s’il en est qui peut recouvrir, au choix, de l’inaudible pour snobinards ou de l’inclassable pour amateurs de curios (et il faut reconnaître qu’il tient un peu des deux, l’Ange du Bizarre ne donnant que ce qu’il a). Mais il fut descendu en flammes par la critique et boudé par le gros des fans : ils voulaient « leur » Paul McCartney, un point c’est tout.
Or, rien que pour son courage, l’album ne mérite absolument pas son assassinat par la critique et le flop qu’il a fait. Mais il n’y a pas que ça. Ce courage se double d’un relatif niveau de maîtrise et de discernement, et McCartney II est rarement désagréable et toujours intéressant pour peu qu’on en accepte l’esprit sans queue ni tête, dont seul un track by track peut rendre l’atypisme :
Coming up : c’est du Bee Gees, vocaux châtrés compris, donc pas vraiment enthousiasmant. Passons.
Temporary secretary : une petite pièce de synthpop caricaturale, aux climaxes dramatiques incongrus et au thème tellement limité et obsédant qu’il en devient impayable. Au départ, Paul trouvait rigolote en soi l’idée d’une secrétaire temporaire. Pas très malin au niveau de l’analyse politique…. mais, musicalement, chouette morceau de comedy.
On the way : un dub bluesy avec chambre d’écho, rien de plus, mais rien de moins. Précis et élégant. On dirait qu’il a fait ça toute sa vie.
Waterfalls : terrassant tellement c’est magnifique, du pur McCartney (non mais sans déconner là). Je tiens ce morceau pour l’un des highlights de toute sa carrière, et justifiant à lui seul l’achat de l’album pour ceux qui veulent absolument « notre » Paul sinon rien.
Nobody knows : du rock’n’roll élevé en batterie, comme il peut en tricoter au kilomètre en dormant, donc pas de quoi se réveiller la nuit. Passons.
Front parlour : instrumental de remplissage, le maître du home studio fait joujou avec les synthés, les autres trouvent le temps long. Passons.
Summer’s day song : toute la profonde majesté d’un cantique de Noël pour évoquer la sérénité d’un jour d’été. Tongue-in-cheek peut-être, mais étonnamment approprié quand on y pense.
Frozen Jap : instrumental, de synthpop japonaise à en croire le titre, mais le motif de clavier annonce aussi le Computer Love de Kraftwerk. C’est catchy en diable, et plus un hommage qu’une parodie. Synthés de tous les pays, unissez-vous.
Bogey music : le boogie du croquemitaine, sensuel, anachronique et astucieux, vous déhanche sans coup férir. Si Elvis Presley avait eu un home studio.
Darkroom : electronica, boîte à rythme, et nouveau cocktail kraut/J-pop mais cette fois versant ambient. Dispensable.
One of these days : retour de « notre » Paul, du moins pour ceux d’entre nous qui l’aiment en baby face sage et bien élevé. Passons.
Check my machine : encore du Bee Gees, plus vrai que nature mais aussi plus inventif car combiné cette fois à de la J-pop, avec des samplings de cartoon. Un peu longuet quand même.
Secret friend : 10’30 au compteur, c’est rare, c’est gonflé et c’est très bien. Pour ce morceau, Paul s’est paraît-il inspiré des compositeurs expérimentaux John Cage, Cornelius Cardew et Luciano Berio dont il venait de voir les concerts à Londres. On le devine à la structure en boucle, mais celle-ci est évocatrice et moëlleuse, avec son vocal de charmeur de serpents, évitant de tomber dans l’ennui ou l’abstraction trop sèche.
Alors, en conclusion ?
Y’en a pas. C’est impossible. Sauf à vouloir tuer le charme de cet album rebelle à toute rationalisation, et comme j’ai adopté la démarche inverse….
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Cette chronique fait partie de la rétrospective consacrée à l'oeuvre de Paul que j'ai entreprise :
https://www.senscritique.com/liste/Revisiting_Paul_Mc_Cartney_before_the_end_of_the_end/2221531