"De belles phrases qu'elle ne sait pas comprendre"

Je crois qu'on connait tous Les Innocents, mais sans bien les connaitre. Il y a deux ou trois hits qui passent et repassent à la radio, sans cesse : "L'autre finistère", "Un homme extraordinaire" ou le dansant "Colore". Mais je n'ai jamais connu qui que ce soit avec qui soudain, au détour d'une conversation, on se serait mis à évoquer le carrière entière de ce groupe pourtant singulier et qui fait, qu'on le veuille ou non, partie de notre paysage culturel, notre passé commun (pour peu qu'on vive dans l'hexagone). Cet été, j'ai emprunté un peu par hasard cette compilation (qui a déjà 14 ans !) et j'ai redécouvert à rebours un excellent groupe pop !
Ce disque pour nostalgiques à la différence de mille autres best-of, a pour singularité de faire les choses à l'envers : en commençant par les chansons du dernier disque (à l'époque) de 2000, pour remonter aux deux premiers tubes ("Jodie" et "Le temps n'attend pas" qui eux ne se trouvent sur aucun des albums). OK, et après qu'il ait tourné cent fois cette été, on peut dire que : 2017, c'est l'année où Les Innocents sont devenus mon groupe préféré (ils s'ajoutent à une trop longue liste).
Cependant, je dois avouer que je serai bien en mal de te dire quel est le propos de ces mecs. Tu vois, on identifie les chanteurs comme "engagés", "à texte", "subversifs", "festifs", les faiseurs de tubes, ou ceux qui éternellement chantent l'amour (c'est fou ce qu'on peut continuer d'écrire un max sur ce seul thème, non ?).
Mais sérieusement, de quoi nous parlent Les Innocents ? On croit entendre une chanson d'amour par ici, d'accord. Mais tiens, prenons les grands hit : ok, un homme extraordinaire, le héros du quotidien, soit. Mais après ? Non, cet autre Finistère, ce n'est justement pas le Finistère. C'en est un autre. Et c'est peut-être un des rares thèmes qui revient sans cesse : il était déjà là dans "Cent mètre au Paradis" (premier album éponyme), "L'autre Finistère" (2ème album) continue la thématique, puis dans "Un monde parfait" (3ème album) la relance, et on termine avec "Une vie moins ordinaire" (4ème album) : tous ces titres évoquent un ailleurs, ici ou là, ou la vie serait différente, plus cool, moins terre à terre. Pourtant, impossible de savoir réellement s'il y a là un discours utopiste (avec un projet de société, et donc politique), un doux rêve, voire à contrario, la critique d'un idéalisme naïf.
En dehors de ça, j'ai réussi à identifier dans "Je vais à Bang Bang" le récit d'une sorte de voyage initiatique, au Brésil pour de vrai, ou dans un Brésil symbolique intérieur (un énième finistère ?).
Mais concrètement, Les Inoccents c'est : de beaux arrangements pop, des mélodies entêtantes et ciselées, des voix qui s'entremêlent. Une sorte de classe qui rappelle les plus produits des disques de Beattles. Mais en français. Ils disent, dans une interview, qu'ils n'ont pas spécialement de groupe qui serait leur influence. Ils ont plutôt pioché à droite et à gauche. Mais voilà, ils ont ce son singulier et à eux. Qui évolue : les disques ne se ressemblent pas ; c'est pourtant toujours eux. Et même quand, à partir du 3ème disque, c'est Jean-Chri qui se met à écrire et chanter certains titres ("Colore", c'est lui) à la place de Jipé Nataf, on les reconnait toujours.
Pourtant, reste que : les textes sont beaux et confinent parfois au mystique, à l'éther, ils flottent et frappent par leur poésie, une façon de tordre la langue toujours pour sembler dire quelque chose. Oui, mais quoi ?
Et hier, je marchais pour aller la piscine et j'avais dans les oreilles "Jodie", leur tout premier hit. Et puis, il y a ces deux vers qui d'un coup éclairent tout, ça dit : "Jodie est fatiguée d'entendre / de belles phrases qu'elle ne sait pas comprendre". Et je crois que c'était un peu prophétique.