Mémoires Vives c’est une musique coincée entre une énergie sulfureuse et des sons de synthés et de basse froids comme un hiver finlandais où se glisse subrepticement un texte chanté tantôt par une jeune femme faussement innocente tantôt par une voix d’homme sombre et torturé. Le résultat est plein de contradictions. A la fois dansante et désenchantée, douce et acide, difficile d’accès et pop, la musique de Grand Blanc sonne comme le manifeste d’une jeunesse paumée dans un entre-deux, forcée d’entrer dans un monde hostile pavé de désillusions.
Grand Blanc c’est d’abord trois, puis quatre depuis très récemment, jeunes gens aux parcours étrangement similaires. Il s’agira pour les trois fondateurs de Grand Blanc de se défaire de manies musicales un peu trop encombrantes. Camille, chanteuse du groupe était bridée par sa formation classique du conservatoire de Metz tandis que Vincent, guitariste, l’était par sa fascination des solos des géniaux Dire Straits. En créant Grand Blanc, les trois se sont rendu compte de toutes les possibilités qu’offrait la musique. C’est ce désapprentissage qui leur permit de libérer leur potentiel créatif à grand renfort d’expériences sonores et de références musicales.
Tout au long de l’album deux noms en particulier résonnent dans notre esprit : Joy Division et Alain Bashung. Et cela vient des textes des 10 chansons (plus 3 bonus tracks) de l’album. Le sens des paroles est éclipsé pour en garder une approche plus sensorielle qui ne s’intéresse presque plus qu’aux espaces et aux sons. En ressort une schizophrénie musicale qui mêle l’hermétisme des paroles à la pop douce de la voix de Camille et de la froideur punk des instruments. En ce sens les parties chantées par le sieur Benoît sont plus faibles et dispensables que celles de la chanteuse. Beaucoup moins intéressantes, sa voix sombre se fond dans le décor (on pense trop à Ian Curtis dans la façon désabusée de chanter). Ses parties ne trouvent leur intérêt que lorsque la voix de sa comparse vient contrebalancer la sienne comme dans le très beau morceau Evidence ou les couplets tendus de Benoît se retrouvent neutralisés par les refrains aériens de Camille. « Ma façon de chanter s’est construite dans une logique d’effacement, sans notes appuyées. Il y a quelque chose de post-rap dans le fait de ne jamais sacrifier un mot au profit de la mélodie » explique le jeune homme, également auteur du groupe qui, malgré son côté pédant demeure quand même largement écoutable.
Dans la droite lignée de ces nouveaux artistes francophones qui se sont donnés pour mission de redorer le blason de la langue française dans le paysage de notre pop nationale, Grand Blanc se distingue par son ambiance noire comme la nuit et belle comme le jour. Les quatre messins ont su tirer leur épingle du jeu dès leur premier EP, sorti en 2014 et continue leur lancée avec ce premier album déconcertant où se mêlent la froideur industrialisée du monde et une délicieuse délicatesse que l’on retrouve aussi bien dans le tubesque Surprise Party que dans le futuriste Tendresse ou encore dans l’abrupte Verticool. Bercé d’ennui et de littérature, Grand Blanc débarque et nous embarque pour un voyage inédit dans la musique francophone.