Micah P. Hinson and the Red Empire Orchestra par bisca

Avec sa bouille de jeune Woody Allen et sa voix de vieillard éploré, le Texan Micah P. Hinson, étrange croisement vocal d'Elvis Costello et de Willie Nelson, est un écorché vif. Sur The Red Empire Orchestra, son chant douloureux et son alt-country aussi rustique qu'atypique prennent aux tripes. T


Townes Van Zandt, Guy Clarke, Lyle Lovett… Quand on devient songwriter au Texas, courageusement installé derrière sa guitare de bois, on vit forcément un peu à l'ombre des grands anciens, ceux qui ont raconté leurs vies de bâtons de chaises avec la grâce d'angelots. Dès son premier album de 2004, le jeune Micah P. Hinson se sortait avec une classe insolente de ces ombres castratrices : en osant des arrangements d'une finesse et d'un culot inoui, en s'offrant une production onirique et vaporeuse, en chantant très nettement au dessus de ce luxueux entrelacs des chansons nettement plus mûre et riches d'expériences complexes que lui. Entre temps, son groupe The Gospel Of Progress est devenu The Red Empire Orchestra, la voix a gagné en gravité, en ampleur, mais les ambiances demeurent aussi insolites et bouleversantes. On avait peut-être un peu trop vite attribués aux Earlies, producteurs maniaques de son premier album, la paternité de l'étrangeté de ce son, mariant l'aridité du songwriting rural à l'extravagance d'arrangements et instruments venus clairement d'ailleurs. Aujourd'hui entre les mains de John Congleton (The Polyphonic Spree, Antony and the Johnsons), la production prend le même chemin, à double sens et à toute berzingue, entre les champs américains et les villes européennes (Paris 1919…) – la preuve si besoin en était de la personnalité imposante de Micah P. Hinson, immense prescripteur d'ambiance à la hauteur de Sparklehorse ou Lambchop. Comme eux, Micah P. Hinson peut ainsi très bien jouer dans le plus profond dénuement comme dans une imposante sophistication – et maintenir la même intensité, la même tension. Pour preuve l'enchaînement gonflé entre The Fire Came Up To My Knees et You Will Find Me, où l'on passe du désert de Will Oldham à un luxueux cabaret hanté par Nick Cave sans le moindre sas. Sinon, sachez que Micah P. Hinson a fait une Domenech : c'est sur scène, en décembre dernier, qu'il a demandé sa fiancée en mariage. Ça ne l'a pas empêché de devenir un champion d'Amérique.(Inrocks)
À côté des tourments vécus pas Micah Paul Hinson, la vie du ténébreux Mark Linkous (Sparklehorse) passerait presque pour une sinécure. L’homme a connu le pire (maladie, dépendance médicamenteuse, prison, banqueroute, abandon) à l’âge où, habituellement, on ne suppose que le meilleur. Et sa voix semble s’être mise au diapason de ces précoces  malheurs. Anthracite, grave et ridé, ce chant de baryton lugubre paraît aussi ancestral que l’amour et ses inévitables travers qu’il s’ingénie à mettre en paroles, et à sublimer sur les  onze comptines country folk assommantes d’expressivité qui composent ce troisième album malignement orchestré. D’une intensité rare, l’organe de Micah P. Hinson imprègne chaque note d’une aura bouleversante, sans jamais lorgner vers la moindre complaisance lacrymale. Sanglées par la retenue, Tell Me It Ain’t So, Sunrise Over Olympus Mons et The Fire Came Up To My Knees peignent les atours de ballades crépusculaires ultimes, aux arrangements discrets doublés d’un romantisme cramé. Et quand le puissant et hoquetant You Will Find Me déshabille le blues, les accords immédiats de When We Embraced et Throw Me A Stone évoquent Elliott Smith repris par Kurt Wagner de Lambchop. Au fond du trou après la tournée qui suivit son deuxième effort, le jeune homme, aujourd’hui âgé de vingt-sept ans, s’est remis en selle grâce au soutien du producteur John Congleton (The Polyphonic Spree, Antony And The Johnsons) et a trouvé une raison de vivre, la seule qui vaille : une femme dont il se dit profondément amoureux. Une raison supplémentaire de chérir ce disque comme il se doit. Comme celui d’une rédemption. (Magic)
Drôle d'oiseau que le père Micah. Une voix de bourlingueur à un âge pas si avancé que cela. Des chansons patinées comme un vieux blues alors qu'il vénérait The Cure et Depeche Mode quand il était adolescent. Une obsession d'opiomane pour le corps féminin qu'il met en scène sur chaque pochette d'album. Bref, nous n'avons pas fait le tour du personnage comme nous le rappelle ce nouvel opus. L'ex-accidenté de la vie est devenu en trois albums-studio et une poignée d'EP un songwriter céleste capable de nous faire chavirer à la moindre ritournelle par son grain de voix épais et ses rythmiques de valse-country qui font tanguer le navire sur une mer de mélancolie. Ce disque exhale un parfum de honky tonk crado mais pas seulement. A y regarder de plus près, il affiche une classe feutrée et un charme désuet (un mix de Richard Hawley et de Bill Callahan ?) transposant son auditeur dans un dancing perdu au fin fond du Texas peuplé de mémères décaties. Les mélodies, joliment enluminées de cordes soyeuses, de glissades de dobro flemmardes et de chœurs mielleux, nous susurreraient presque un joyeux Thanksgiving. Bref, l'anachronisme va plutôt bien à cet artiste à fleur de peau qui se livre sans retenue. Qu'il chante l'amour comme un crooner des années 50 ("Tell Me It Ain't So"), pleurniche comme un cow-boy solitaire ("When We Embrace", "The Fire Came Up to My Knees") ou braille comme un marin éméché ("Come Home Quickly Darlin'"), il est toujours juste, élégant, touchant. Le désespoir lui donne des ailes, l'amour aussi sûrement (il vient de se marier avec Ashley et n'hésite pas à étaler son bonheur sur son site internet). Un cœur tendre pas encore transformé en guimauve. Oui mais pour combien de temps ? That is the question. (Popnews)
C'est une chose de faire un album de folk ou de blues, c'en est une autre d'avoir les deux pieds dedans. Ainsi, pas mal de faiseurs ou de touche à tout viennent régulièrement se frotter au genre, pensant à tort ou à raison que se livrer dans le plus simple appareil accentuera leur crédibilité. Mais il est rare que ces albums rivalisent en beauté et en intensité avec ceux de Bill Callahan, Vic Chesnutt ou Micah P. Hinson, des types qui semblent être nés une guitare acoustique à la main, une bouteille de whisky dans l'autre et le spleen souvent solidement chevillé au corps. Les précédents albums de Micah P. Hinson sont en effet des traités déchirants, inépuisables, sur les tourments et les affres de la condition humaine ; le songwriter est de retour pour ajouter une nouvelle pièce à l'édifice. Certains feront la fine bouche en arguant qu'avec ce genre d'album, il n'y a pas de véritable enjeu. Alors que chez d'autres, on cherche sans cesse la remise en question, le renouvellement, il est rare que l'on ait la même exigence envers le folk et le blues. Mais s'il est vrai que sur "The red empire orchestra", on retrouvera tout ce qui fait l'univers de Micah P. Hinson, il serait criminel de passer sous silence l'unique exigence qu'il s'impose : l'excellence. Car comment expliquer autrement sa capacité à nous tirer des larmes sur The fire came up to my knees avec quelques couplets égrenés d'une voix sans cesse au bord de la rupture et trois notes de guitare maximum ? Comment passer sous silence la limpidité de Tell me it ain't so ou Dyin' alone ? Il ne faut en outre pas confondre constance et radotage. Sur cet album, le violon est mis à l'honneur pour soutenir les mélodies avec une pertinence et un soin impeccables. A l'honneur dans ce registre, When we embraced et I keep havin' these dreams. Comment passer à côté d'un sommet comme You will find me, presque baroque dans sa forme, qui évolue entre grâce et dramaturgie ? La remise en question est donc aussi une capacité à ne rien faire à moitié, à toujours trouver la sève nécessaire pour alimenter l'inspiration. Pourtant, sur ce disque, Micah P. Hinson laisse à quelques morceaux une forme courte, comme si c'était une esquisse de chanson, sans pour autant donner de sentiment d'inachevé. Finalement, les vrais géants sont peut-être bien ceux qui ne craignent pas de montrer qu'ils ont des pieds d'argile. (indiepoprock)
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le 28 mars 2022

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