Minimum-Maximum (Live) par Adobtard
Qu'est ce qui fait la particularité de cet album ?
Une première chose, incontournable : On y trouve quasiment tous les tubes monstrueux du groupe. Jugez donc par vous même ! Se côtoient allègrement les tubes caractéristiques de leurs différents albums tels que Autobahn, Radioactivity, Computer Love, Das Model, Neonlicht, Pocket Calculator, Dentaku, Vitamin, des Tour de France... J'en passe. Pas un morceau de trop, chaque titre à sa place dans cet album
Vient ensuite une organisation parfaite de l'album en lui même. L'écouter dans l'ordre de temps en temps est un pur bonheur intellectuel. L'ouverture est digne de l'intelligence que les grands compositeurs mettaient dans celle de leurs opéras. On attaque dans une puissance infinie avec Die Mensch-Maschine. La voix raisonne vocodée, scande la philosophie Kraftwerkienne de « l'Homme-Machine ». Combien de fois je me suis imaginé y être, à ce moment là, quand raisonne cette voix pour la première fois, qui ressemble à l'appel d'un prêtre vers ses fidèles... L'extase... Bref, la voix reprend une deuxième fois son slogan, et suit une sorte de break. La « batterie » (je n'ai pas le terme approprié), discrète, mais précise, calculatrice, entame son tictictictictic tictictic tic tictic, et là rentre un son, qui fait un effet encore plus grandiose encore que la voix précédemment entendue. Très piqué, aigu, comme une étincelle, rentre un élément mélodique magnifique. La simplicité à son apogée. Arrive la ligne de basse après deux appels du thème, qui vient donner une épaisseur de fou. Il n'y a rien (trois éléments), et il y a déjà tout. Le morceau se construit ensuite, parfaitement, mais cette introduction d'album est juste une folie de conception.
Rien à redire sur l'organisation en double album, ça me paraît être élémentaire, permettant l'inclusion tant de leurs énormes morceaux incontournables que de leurs plus petites pépites peut être plus chères à leur cœur. On a en un album un aperçu tout à fait honnête de ce que peut être le groupe, bien qu'en situation de Live, ce qui est tout de même à part.
Mais c'est le fait que cet album soit en Live qui peut être lui donne sa place si unique dans la discographie de Kraftwerk. On y trouve de nouvelles préoccupations, inconnues jusqu'alors. Le groupe va apposer une transformation sur chacun des morceaux que l'on connaissait, transformation techniquement peu conséquente, mais sensiblement extrêmement forte. On sort un peu de cette esthétique d'une froideur indécrottable pour rechercher un peu de contact humain. C'est un concert, il faut que ça bouge, il y a un public à tenir, et n'en déplaise aux puristes de Kraftwerk, ça se sent, et c'est très bon. Certains morceaux cependant restent à mon sens définitivement moins bons sur cet album que sur l'original (Vitamin, Radioactivity,Computer Word...), d'autres en revanche se révèlent carrément meilleurs (The Robots, Die Mensch-Maschine... ), et d'autres simplement complètement différents (Neonlicht, Pocket Calculator...).
Pur rester dans l'ordre de l'album, et éviter de passer en revue tous les morceaux, je tiens tout de même à parler encore de quelques uns.
Cette fin de premier CD qui est absolument merveilleuse. Enchaîner en clôture Das Model puis Neonlicht, là encore une vraie pensée d'organisation est palpable. Je tiens à dire qu'en plus ce sont peut être mes deux morceaux préférés de Kraftwerk. Quand le thème mélodique instrumental de Das Model résonne, je ne suis plus moi même. Et quand il commence à dire « She's a model and she's lookin' good », là je suis prêt à toutes les folies au monde. Quelle différence avec la version studio de ce titre ? Outre le public qui beugle derrière, l'équilibre des différentes parties est modifié, laissant plus de place à ce thème entêtant, le tempo est à peine augmenté, la ligne de basse est aussi plus prégnante, les effets appliqués aux sons (et voix) sont aussi différents, plus chauds ici (autant de caractéristiques que l'on retrouve dans les autres version Live et qui contribuent à cette nouvelle esthétique de cet album Live, bien que ce ne soit pas sur ce morceau que ce soit le plus sensible). Généralement, l'esprit du titre original est bien respecté ici, et on a une version que l'on pourrait peut être qualifier d'un brin moins nostalgique que la première, mais qui reste assez fidèle. Personnellement, j'adore profondément les deux.
Le cas de Neonlicht est un peu différent. Dans la version initiale, le morceau déjà dure neuf minutes, contre six ici. Ensuite, bien que le tempo soit conservé exactement, l'amorce est très différente, et annonce la différence énorme entre les deux versions, qui finalement réside dans l'esprit des morceaux, qui en fait deux œuvres complètement à part. Sans énumérer les différences, disons que la version initiale est encore plus nostalgique, se pare d'un état d'apesanteur magique, de transfiguration, on sent les étoiles, ces lumières de la ville, de l'industrie, scintiller lorsque le thème mélodique de sons en échos fait son entrée. Car Kraftwerk, c'est énormément ça : une philosophie, un esprit (auquel je n'adhère d'ailleurs pas toujours), une glorification à rattacher au mouvement futuriste, de la ville, de l'industrie, du bruit, des sons, des machines... La version qui nous concerne est, quand à elle, d'un tout autre effet. L'introduction déjà le marque très bien. Puissante, affirmée, profonde, on est loin du petit scintillement de tout à l'heure. La voix aussi, plus affirmée, moins rêveuse. Mais ce qui fait une bonne part de la qualité de ce morceau, c'est beaucoup son caractère paradoxalement entraînant. Comment décrire cela... Pour faire très simple, disons que j'écouterais la première version dans mon lit, dans le noir, avant de dormir, lorsque j'écouterais la version Live à 5h du matin en marchant, tranquillement, dans la rue. Les deux expériences relèvent d'une jouissance sans bornes, mais sont, pour un même morceau, étonnement différentes.
Radioactivity. Quid de ce fameux radio Activity ? Encore deux versions extrêmement différentes. Longueur différente, on trouve sur la version Live un petit discours absent de la version originale. Pourquoi pas, l'utilisation (un peu outrancière) du vocoder et des effets vocaux ne gène pas (encore). C'est après que les choses se gâtent. Bien que comme à leur habitude, les thèmes mélodiques et les lignes de basses soient plus profonds, le traitement vocal sur cette nouvelle version me déplaît trop souvent. Oh, rien à jeter, mais on quitte le délicieux esprit original, avec cette voix parfaite, complètement détachée, légère, pensive, caressante. Regrettable.
Et pour finir, la triade de choc, Pocket Calculator, Dentaku, et The Robots.
Tout d'abord, le duo Pocket Calculator/Dentaku. On l'aura compris, Dentaku n'est autre qu'un Pocket Calculator japonnisé. Ils ont en effet traduit plusieurs de leurs morceaux, notamment celui ci. On a une version française, qui, quoi qu'en dise Soma, est bien moins intéressante, cela dû au fait notamment que « je suis l'opérateur du mini calculateur » est une phrase aux sonorités nettement moins percusives que « I'm the operator of the pocket calculator, et à plus forte raison que « Bokuwa ongakuka dentaku katateni » (quelles sonorités parfaites, tous ces « k » et ces « t » mélangés à des « a » et « ou » !!!! ça te prend tout de suite une autre gueule, une autre énergie, en bref, c'est mille fois mieux). Je crois qu'il n'y a pas de version studio de Dentaku, en revanche, pour le Pocket Calculator, on a la version non Live. Je crois que c'est sur ce morceau que la différence de recherche d'esthétique est la plus flagrante. On a sur la version originale un morceau vaguement dansant, à peine, presque déstructuré, ou plusieurs éléments viennent se répondre, dans un mélange de sons qui nous viennent de droite et gauche, non pas anarchiquement, mais selon des procédés bien sagement choisis et reglés, et qui sont, finalement, assez déstabilisants. La voix est très froide, calculatrice c'est le cas de le dire, sont mêlés des sonorités qui relèvent purement des jeux vidéos à venir il me semble. Le morceau dure cinq minutes, on a ce qui ressemblerait presque à Telephone Call, en tout cas un morceau à moitié expérimental. Sur la version Live, on assiste à un retournement de situation monstrueux. Qu'on se le dise, j'adore les deux. Mais la version Live montre un visage mille fois plus commercial. Finies les expérimentations, on a transformé ça en un tube ayant pour but de faire danser. Tempo augmenté de peut être 25%, sons et voix modifiés pour perdre leur froideur, déclamation du texte plus rythmée, pleine de punch, les sons de jeu vidéo initialement déstabilisants sont ici utilisés de façon presque ludique, temps du morceau réduit presque de moitié...
Quand à The Robots, je crois que je préfère la version Live. Après l'avoir écouté, la première manque définitivement de punch, on a envie de la secouer (n'en déplaise, encore une fois, aux puristes). Elle a pour elle une plus grande sobriété, elle marque une certaine distance avec le spectateur, les éléments sont utilisés avec parcimonie, on est jamais dans le putassier, ce qu'on pourrait repprocher (avec une mauvaise foi monstrueuse) aux versions Live de ces morceaux. Mais merde, quand cette ligne de basse entre, un milliard de fois plus percussive que dans la version originale, qu'on se sent bouger presque malgré soi, qu'on a envie de sauter, et que la voix vient se greffer, surpuissante, clamant « We are the Robots », entrecoupée de ce do ré sol mi ultra-jouissif, la comparaison n'est plus tenable. J'ai personnellement appris à apprécier ce morceau le jour ou j'ai découvert la version Live. Chaque élément sonore, chaque idée musicale (mélodique, harmonique, et rythmique) est une tuerie, un assassinat.
Je terminerais en me demandant si à un moment dans leur carrière ces musiciens n'ont pas commencé à se prendre pour des gourous mécaniques, à faire ainsi bouger les foules, à leur faire hurler des slogans (car ce sont des slogans et plus de simples paroles) tels que « Die Mensch Maschine », « We are the Robots », « Computer World »... Et si personne dans le monde n'est finalement devenu fou en entendant cette musique de génie, n'a commencé à diviniser à outrance ce monde de machines, d'ordinateurs naissants, de technologies.
Puis je me dis qu'il est triste que la techno ait atteint son sommet alors qu'elle venait juste de prendre son envol, mais ça, ma foi, c'est un goût personnel.
Ah, oui :
Neirdax, je t'emmerde, toi et ton cerveau trop étroit.