Que passent, repassent, les chansons…

J’ai longtemps pensé aduler cet album de par une subjectivité émotionnelle, par une certaine nostalgie… Et pourtant, plus on réécoute cet album, plus il devient compliqué de ne pas l’adorer et d’en reconnaître l’indéniable génie qui s’en découle…
L’album, d’une pop inspirée de Liverpool, et d’un rock mélodique orchestré d’une façon sublime, est un chef d’œuvre de la pop française; et après s’être illustré dans une musique de fête, plus légère, L’Affaire Louis Trio prouve avec brio qu’ils savent faire de la musique française mieux que quiconque depuis et pour bien longtemps.

Mobilis in Mobile, qui tire son titre de la célèbre devise du Nautilus, pose son univers dès le premier morceau.

Le Capitaine sonne alors comme une ode à Vingt Mille Lieux Sous les Mers dont le groupe s’inspire pour le concept de son album. Les références à la mer sont multiples, qu’elles soient dans les paroles, qui sont d’une profondeur simple et poétique ( « Plus rien ne lui fait peur, il sait ce qui est beau ; ses goûts sont ses couleurs, il marche sur l’eau » ) comme dans les effets sonores de sous-marins aux premières secondes ( très Beatles, comme pas mal du reste de l’album… ici la pop française à son Yellow Submarine ), tout ça ajouté à une pop/rock qui fonctionne extrêmement bien, notamment à un arrangement ( quasiment à la Beatles… ) comme il est rare d’entendre. Déjà a l’écoute du premier morceau, on se demande presque comment il sera possible de faire aussi bien ou mieux…

Et pourtant, Here comes the sun…! Le Soleil est là, deuxième piste, sans détrôner le morceau précédent, conquit tout autant l’auditeur. Les références à l’univers « Jules Vernien » sont toujours là, notre voyage sous les mers continue et est égayé par une luminosité dans le texte mais également dans les chœurs, qui ne sont pas sans nous rappeler les sirènes évoquées précédemment et ré-évoquées dans le morceau qui suivra. Mais encore plus jubilant : le morceau est une référence claire à un Good Day Sunshine des Beatles…Autant au niveau des paroles que dans la musique. La batterie fonctionne énergiquement avec la guitare, encore une fois avec cet arrangement qui rends une pop-rock plus que satisfaisante, et ces derniers vont se faire rejoindre par des cordes frottées en quasi apothéose pour finir le morceau, qui laissera place au morceau éponyme.

Mobilis in Mobile; Mobile dans l’élément mobile, est objectivement un des morceaux de pop française des plus réussis. Ici, les instruments laisse place à une guitare acoustique qui nous ballade dans un texte toujours d’une élégante simplicité poétique, toujours d’inspiration (sous-) marine. Le refrain nous remplit d’enthousiasme : des chœurs, de l’électrique, de la batterie… comme un climax qu’on ne savait même pas que l’on attendait… bien que le couplet suivant ne reste qu’à l’acoustique, c’est après plusieurs écoutes attentives que l’on discerne de nombreuses subtilités sonores et musicales rappelant l’univers marin ; et des paroles ! qui ne laisse aucun doute sur le talent d’écriture du groupe ( « Quand les vérités aux mains sales se construisent des cathédrales, il vaut mieux fuir à la nage, partir en voyage » ).

S’en suit le simple mais efficace Pas besoin de parler . Il était, certes, difficile de faire mieux que le morceau qui le précédait… Néanmoins, Pas besoin de parler se pose comme un très bon morceau et ne déçoit pas après l’orgasme auditif qu’est Mobilis in Mobile. Les temps marqués par la batterie, la guitare électrique notamment son très bon solo, et la fin dans un brouhaha comme dans un concert de rock où on ne saurait pas comment finir le morceau, le place dans une continuité pop/rock : l’alternance entre les deux styles se fait d’ailleurs ressentir entre les couplets et les refrains.

On arrive à Champ d’Honneur. J’ai longtemps ignoré ce morceau; pas que je le trouvais mauvais, loin de là, aucun morceau n’est à jeter dans cet album. Il s’inscrit toujours dans l’esthétique musical et textuel de l’album. Le pattern, la basse, les cordes frottées font de ce morceau l’un des plus intéressant musicalement de l’album, mais c’est surtout cette batterie quasi militaire à certains moments qui s’accorde de façon presque lyrique avec le texte qui nous frappe à l’écoute. Le solo de piano est à noter aussi.

Vers des jours meilleurs est un très bon morceau. Il pourrait pourtant s’illustrer comme la bête noire de l’album. Accompagnée d’une guitare sèche grattant quelques accords et d’un piano très mélodique, on remarque de suite que la voix a changé. Hubert Mounier a indéniablement la voix qui donne l’âme de l’album, une voix le situant entre un rocker et un crooner. Mais sur Vers des jours meilleurs, l’absence vocal du fameux Cleet Boris ne pose pas problème, et place le morceau presque comme une « pause », un temps de répit pour digérer toute la qualité musicale que l’on vient d’ingérer auparavant. On se laisse automatiquement flotter par la délicatesse du morceau.

Et Hubert Mounier revient en beauté sur le morceau suivant, Le lit d’Hélène, où le piano reste au premier plan. Référencé et sensuel, le morceau fonctionne. Le solo de guitare, qui sonne presque insulaire, ravit nos oreilles, mais encore mieux : les cuivres sont mis en avant et nous donne envie d’aimer l’Affaire pour avoir introduit une orchestration aussi complète et variée dans leur oeuvre.

Les filles de la chance est pour moi le plus Beatles des morceaux de l’album. Peut être pour cela qu’il est un des morceaux que je trouve le mieux abouti. Les guitares qui dialoguent entre le texte des couplets, qui marquent parfois autant rythmiquement le morceau que la batterie, prouvent encore une fois que la performance musicale du groupe ne laisse plus à désirer. Et les chœurs, les chœurs… sont les mieux arrangés dans ce morceau..Les chœurs chantent énormément d’onomatopées, en alternance avec le texte, ce qui rappelle évidemment un Beatles, adeptes des chœurs notamment chantant à la tierce.

Loin est une des plus belles balades que j’ai pu entendre et écouter. Le texte, sans tomber dans le trop sentimental, nous touche immédiatement tout de même. La guitare et la basse ( et quelle basse ! simple mais efficace ) sont rejoints par des cordes frottées qui chantent presque plaintivement avec le chanteur… Les chœurs restent présents de manière subtile, comme pour nous rappeler le côté dramatique dans le morceau. Un vrai succès de larmes…

Plus d’aîles ne m’a jamais totalement convaincue, en étant honnête. Mais je ne peux retirer le coté planant de l’arrangement, qui transporte notre écoute sous la mer. Et le texte est encore et toujours très bien écrit, et d’une jolie subtilité.

Le morceau qui suit est indéniablement inspiré d’un Eleanor Rigby. Les violons remplace tous les instruments durant le couplet de La mer est encore là, un des plus beaux morceaux de l’album. Inspiré des Beatles encore une fois, le groupe français complète l’univers de l’album avec ce morceau qui nous emporte dans un doux courant dont il serait impossible de s’échapper. On se laisse porter par les flots, avec ces cordes frottées qui virevoltent mélodiquement entre les instruments classiques de la pop/rock. La guitare sèche les accompagne comme pour donner une touche d’authenticité, et on se laisse dériver, emporté par l’océan sans ne pouvoir rien y faire.

Miravalse nous ramène cependant sur la terre ferme. Simple chant d’amour, presque comme un chant marin, entre l’accordéon et les sifflements et la simplicité des paroles ( par notamment la répétition de groupe de phrases ), Miravalse nous laisse dans l’ambiance de l’album tout en nous faisant poursuivre notre voyage à travers 20 000 lieux sous et sur les mers.

L’affaire a su garder son côté potache des albums précédents dans les morceaux qui suivent. Samedi 22 octobre 4004 av JC, est encore une fois totalement inspiré Beatles ( mélodie proche des mélodies de cabaret à la Honey Pie ou encore When I’m 64, les différents bruitages et chœurs comme dans un Yellow Submarine ), est un morceau totalement dans la continuité de l’album.

Les éléphants sont contagieux m’a toujours fascinée, c’est un morceau qui se décolle de l’album sans s’en décoller. Musicalement parlant, de par sa façon d’être arrangé ( la stéréo est superbement exploitée ) il s’inscrit sans doute dans Mobilis in Mobile, et de par son humour, il s’inscrit dans la discographie du groupe. Le texte subtilement drôle se marie avec une musique d’une qualité incontestable, en effet, il se mélange avec une pop toujours quasi orchestrale et mélodiquement efficace et enthousiaste : encore une fois, éléments retrouvés chez les Fab Four.

Chanson à boire est une chanson personnelle pour les Mounier. Se plaçant parfaitement après les deux morceaux qui la précède, elle reprends les mêmes esthétiques : des paroles potaches et une musique d’une qualité certaine. Le piano saloon, comme dans un Beatles ( comme évoqué plutôt pour Samedi 22 Octobre 4004 av JC ), s’affilie de façon fluide dans l’esthétique de l’album et dans sa qualité.

Viens avec moi vient cependant remettre son grain de sel marin rock après cette interlude plus léger. La guitare sonne ici à la limite d’une guitare hard rock, les voix grésillantes et même les violons qui s’électrifient place le morceau dans une esthétique presque plus rock que pop. Encore une fois, les Beatles ne sont pas pour rien dans l’existence dans ce morceau : la guitare et les chœurs sonnent similaires à des parties mélodique de Revolver ou de l’album blanc, ou même d’un Magical Mystery Tour… Le Trio était décidément fan et inspiré.

Et c’est sur La dernière heure que l’album n’aurait jamais pu mieux finir. Pris dans un véritable tourbillon, le même qui est mentionné dans le morceau, on est emporté dans une houle musicale qui n’est pas s’en rappeler les chants marins ou les chansons à boire de par sa rythmique lors du refrain. « C’est ainsi que s’achève pour nous cette invraisemblable expédition » nous annonce la radio, tandis que le chant des baleines nous berce une dernière fois. Et pourtant, on voudrait que passent, et repassent les chansons.

Mobilis in Mobile est une odyssée musicale, un chef d’œuvre abouti et un sans fautes comme on en trouve peu au long de sa vie. À bord du Nautilus de la pop française, L’affaire Louis Trio avec cet album charnière nous dévoile de véritables trésors musicaux, sans jamais nous donner le mal de mer. Aussi bon qu’un voyage dans le Yellow Submarine, on est déçus quand on remonte à la surface. Et on se remets le disque inlassablement…

rdkck
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le 29 sept. 2022

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