Comme à l'habitude, il ramène tout à la maison : le blues du phonographe, les paraboles bibliques, l'air du temps mais aussi, et c'est plus rare, les fleurs de la romance. Dès Thunder on the Mountain, qui ouvre ce 44e rallye dylanien, c'est un peu la même mayonnaise qu'au temps de Subterranean Homesick Blues en 1965, un savoureux mélange fait d'images burlesques ("J'ai les côtes de porc, elle a le pâté en croûte"), d'apparitions surprises ("Je pensais à Alicia Keys et ne pouvais retenir mes larmes") et de questions qui turlupinent ("Tout un chacun doit se demander quel est le problème de ce monde cruel aujourd'hui"). Et comme souvent, s'il est une vérité à dénicher dans l'inventaire perplexe et compulsif que l'absurdité de ces temps modernes inspire au Bob, elle surgit de la musique même. Rockabilly plus swing qu'endiablé, Thunder on the Mountain commence par déblayer la route de Memphis, plus précisément celle menant au studio Sun, dont il affirmait dans son autobiographie qu'y furent produit "les disques les plus forts, les plus édifiants et les plus magistraux jamais réalisés". Modern Times s'offre ainsi comme le nouvel épisode des aventures de cette fiction incarnée nommée Dylan dans un pays, l'Amérique, où tout est détraqué, où "même la corruption est corrompue", où un homme d'âge respectable (65 ans), pour maintenir le cap, ne se fie qu'aux rythmes qu'il chevauche depuis sa jeunesse comme de vieilles mules increvables. Ainsi cette relecture du Rollin' and Tumblin' de Muddy Waters, ces échos de Slim Harpo dans Someday Baby (rond comme du JJ Cale) ou ce The Levee s Gonna Break qui, évoquant à demi-mot l'engloutissement de La Nouvelle-Orléans par Katrina, s'abreuve des eaux stagnantes du Delta. Voilà pour le Dylan instinctif, caustique, grivois. Sur Spirit on the Water et Beyond the Horizon, il se savoure confit en romantisme, fine moustache à la Clark Gable aux lèvres et dans cette voix de nez impayable des rengaines country semblant remonter au temps où ça prenait un mois avant de dégrafer le moindre corsage (huit minutes rien que pour Spirit !). C'est vrai, plus rien ne presse. Lui est désormais hors du temps. Son Workingman's Blues # 2, en hommage à Merle Haggard, nous rappelle juste d'où il vient : des villes minières du nord, où la paye est maigre et le mépris épais. Quand Ain't Talkin', lugubre ballade de fin de disque au symbolisme élaboré, a le courage de nous dire où il va : vers le cimetière. Pourtant, même à l'heure du crépuscule, le vieux soleil brille et réchauffe encore comme personne.(Inrocks)