Une chose frappait (littéralement) dès Young Team, le très mal nommé premier album de Mogwai : le décalage absolu entre l'apparence visuelle du groupe, jeunes branleurs écossais bas du front, fans de foot et de bière, et les extraordinaires paysages mentaux qu'imprimait leur musique. Visions de sages millénaires ayant tout vu, tout ressenti, tout entendu ; du doux sifflement des corps célestes glissant dans leur expansion infinie au craquement dantesque des continents arrachés à leur unicité, du son lumineux de la vie en formation aux gouffres noirs de son brutal anéantissement. Dix ans ont passé, les fronts se sont dégarnis et les ventres arrondis. Dix ans et un léger affadissement, discret mais constant, avec quelques grands coups de génie enrobés d'un remplissage de formule toutes faites ? dont rêveraient certes nombre de groupes, mais pas à la hauteur de ces démiurges. Puis arrive ce cinquième Mr Beast, et Mr Beast est la résurrection. Le groupe s'est recentré sur ses basiques, a pris le temps d'enluminer ses épiphanies mélodiques et de polir ses contrastes (le piano aérien et le martèlement inquiétant d'Auto Rock, la saisissante progression de Friend of the Night, la tristesse abyssale de I Chose Horses) ; il a aussi trouvé la force d'aiguiser sa rage sanguine (Glasgow Mega-Snake ou We re No Here, terrifiants ouragans, la violence émotive et montante de Travel Is Dangerous). Mr Beast est le plus grandiose, le plus abouti, le plus également terrassant des albums du groupe. Il rassurera les zélateurs, fera revenir les infidèles et attirera, espérons-le, quelques nouveaux croyants.
(Inrocks)
Comme une armée des ombres qui serait prise à ses propres pièges, Mogwai a tiré les leçons du semi-ratage que fut Happy Songs For Sad People, qui n'était pas un mauvais disque, mais tellement empêtré dans une formule qui peinait à impressionner. Mr Beast vient remettre les pendules à l'heure. Tels des fantassins qui, profitant d'une accalmie pour faire l'inventaire, les Écossais ont eu le temps nécessaire pour démonter et remonter leurs armes, graisser les mécaniques et faire le plein de munitions. Ce sont les mêmes dynamiques d'action, le même plan de combat, mais dès le coup de semonce (Auto Rock), on sent que la première charge va être aussi meurtrière que directe. Glasgow Mega-Snake est de ces morceaux offensifs qui prennent du plaisir à tuer, et de réduire l'ennemi non pas à l'état de cadavre, mais bien à celui de charpie. L'autre bataille qu'a su livrer Mogwai est celle contre son apathie créative sur les morceaux plus lents, pour se défaire du sceau infa-mant du maréchal Robert Smith, créer sa propre dynamique, et retrouver une esthétique personnelle. La finesse et la beauté d'Acid Food, assez proche des premiers albums de Felt, la luminosité d'une nuit de pleine lune de Team Handed et d'Emergency Trap prouvent que ce retour est synonyme de résurrection. L'album s'achève comme il a commencé, sur un énorme coup de semonce. La crosse luisante de Folk Death 95 et l'obscurité inquié-tante de I Chose Horses annoncent l'assaut final, intitulé We Are No Here. En moins de six minutes, tout est dit. Là, toute résistance est littéralement anéantie, et Stuart Braithwaite et ses hommes sont redevenus aussi toxiques qu'aux premiers jours, pouvant remonter sur leur trône, toute honte bue, en vainqueurs absolus. (Magic)
Mogwai traîne depuis une bonne partie de sa carrière l'étiquette et le flambeau du mâle dominant de la famille du post-rock. Or on sait que les Ecossais détestent cette classification qui leur colle à la peau et ont essayé de s'en défaire notamment au travers d'un "Rock Action" teinté d'ambiances quelque peu pop et par le trop sous-estimé "Happy Songs for Happy People", magnifique album atmosphérique qui aura eu le malheur de faire perdre au groupe la dévotion d'une partie des ses fans, par ses titres plus courts qu'à l'accoutumée.Ce nouvel album, annoncé comme un retour au Mogwai des débuts, ravira les initiés, mais révèle toutefois une certaine subtilité qui marque également la fin d'une époque révolue, le groupe n'hésitant pas à balayer d'un revers de manche les éléments qui faisaient sa caractéristique.Tout d'abord, chose indéniable, le piano est au centre de l'album. Il s'impose massivement et majestueusement dès l'ouverture avec le titre "Autorock", véritable hymne d'une grandiloquence évidente. Cette domination du piano se révèle également au cœur de l'album avec "Team Handed" sur lequel chaque note jouée par cet instrument ponctuant les envolées de ce titre cogne dans nos têtes à la manière d'une pluie battante qui viendrait frapper notre visage. Arrive ensuite "Emergency Trap", morceau anecdotique, nettement en dessous du niveau général du disque. Dans l'ensemble "Mr Beast" se révèle donc plus calme qu'à l'accoutumée, la rage qu'offrait régulièrement le groupe semble s'être estompée, mais ce serait oublier le deuxième morceau (pourtant je défie quiconque de me citer un autre titre, s'il ne devait en retenir qu'un à la première écoute du disque, que ce "Glasgow Mega-snake"), véritable uppercut lancé dans les oreilles de l'auditeur. D'une efficacité diabolique il promet de jolis sifflements dans notre appareil auditif à la sortie d'un des futurs concerts du groupe (qui a de surcroît la réputation de jouer très fort en live).Mogwai s'est ainsi défendu de vouloir trancher avec la structure habituelle de ses morceaux que tant de groupes de post-rock ont allégrement copiée. A savoir des morceaux instrumentaux à l'introduction longue et calme s'échouant magnifiquement dans une intensité remarquable. Ce pari est presque réussi : le groupe continue à chanter sur quelques titres dans la lignée des deux précédents LP, aucun morceau ne dépasse les 6 minutes réglementaires... Je dis presque et c'est la que le bât blesse, les deux morceaux assurément les plus réussis de l'album, à savoir "Travel is Dangerous" - dont le riff d'introduction semble emprunté à l'un des premiers EP du groupe, chanté par la discrète voix de Stuart Braithwaite et glissant rapidement dans un déluge sonore typiquement écossais - ainsi que le superbe "Folk Death 95", reposent sur ce schéma habituel. Mais il est vrai que le passage dans la dimension intense du morceau est beaucoup plus subtil et maîtrisé. Au final, alors que certains spécialistes anglais annonçaient en ce "Mr Beast" un nouveau "Loveless", peut-être par une fin d'album quelque peu plus aérienne (le sympathique "I Chose Horses", chanté par le Japonais Tetsuya Fukagawa du groupe Envy, signé sur Rock Action, dans sa langue natale ainsi que sur l'ultime "We're No Here" soutenu par de larges nappes de guitares), "Mr Beast", sans révolutionner la musique du groupe, est loin de faire tâche dans la discographie de Mogwai. Au contraire, par ses quelques innovations, il démontre la faculté de ces derniers à contenir leur musique et leur fureur, hormis sur ce fameux "Glasgow Mega-Snake", mais il fallait bien relâcher ce désir sonore et physique à un moment ou l'autre pour obtenir ce résultat.(Popnews)
Dans les méandres du post-rock (très souvent instrumental), nombreux sont ceux qui se sont lancés dans l’aventure sans pour autant émerger au mieux d’une scène trop riche. Pourtant le fantasme a été entretenu par quelques figures emblématiques, à commencer par Tortoise autour des années 1994-98 ou plus récemment Godspeed You! Black Emperor depuis quelques années. Alors que l’on leur cherche déjà dans la production mondiale un successeur, des japonais de Mono à Explosion In The Sky en passant par les danois de Efterklang ou Tristeza, réapparaît un groupe non moins majeur, qui avait fait la jonction entre ses deux périodes dans une orientation plus rock, plus brute : Mogwai. Eux qui avaient levé le pied de la pédale de disto sur le très réussi "Happy Songs for Happy People" et les pièces apaisées des Peel Sessions de "Government Commissions" reviennent avec un nouvel album au design particulièrement soigné.Le moins que l’on puisse c’est que ce Mr Beast n’est pas bien effrayant. En effet, le groupe de Glasgow tente de poursuivre sa mutation dans la douceur. Un piano introductif que l’on retrouvera épisodiquement pour des moments presque contemplatifs ( Team Handed), des traitements électroniques. Malgré quelques bons morceaux ( Glasgow Mega Snake, Folk Death 95), l’ensemble reste entre demi-teinte et déceptions… notamment sur les tentatives chantées (Acid Food et Travel Is Dangerous). Même Tetsuya Fukagawa du groupe Envy semble touché par ce syndrome et perd l’émotion déchirante qu’il tire habituellement de sa voix.A l’heure où le post-hardcore ou le screamo deviennent l’aile radicale de cet ensemble musical finalement assez flou et tentaculaire qu’est le post-rock, Mogwai en s’assagissant, oublie son audace et sa pertinence. Si "Mr Beast" n’est pas un mauvais album et s'avère même plutôt correct parmi les nombreuses sorties du genre, il reste néanmoins bien en dessous des heures de gloire du groupe. Est-ce le dernier chant du cygne ? (indiepoprock)