Après un Man-Child sorti en 1975 (soit seulement deux ans après le tourbillon Chameleon) de plus en plus funk, où l'efficacité des compositions arrivaient encore à cacher une certaine forme de facilité, Hancock commet l'irréparable, tout du moins, le point de non retour voire la disgrâce pour les plus rancuniers, l'album Secrets en 1976. Un album creux, lisse, un funk aseptisé lorgnant de plus en plus vers la disco, idéal pour les soirées cocktails ou en guise d'accompagnement musical lorsque vous aurez la chance de diner avec le charmant Capitaine Merrill Stubing. Il n'empêche, il est amusant de constater qu'à partir de cette date (et jusqu'à la révolution Rockit ?), alors qu'Herbie Hancock se fourvoiera de plus en plus dans des disques électriques où la disco croise le pire du jazz lounge, l'ancien pianiste de Miles Davis participera à la naissance du fameux V.S.O.P., soit le terrible second quintet du colérique trompettiste remplacé pour l'occasion par le non moins talentueux Freddie Hubbard. Un grand écart musical synonyme de passage à vide en somme ? Pas loin... Pourtant, entre son revival acoustique (soit les enregistrements du all-stars band V.S.O.P. ou les duos avec son compère Chick Corea (5)) et ses disques insipides disco/funk prout prout (la perle allant au nauséeux Feets, Don't Fail Me Now), il existe un album méconnu, Mr. Hands.
Après un Monster sorti la même année, en 1980, guère plus passionnant que ces prédécesseurs, Mr. Hands n'avait rien pour plaire sur le papier, Hancock étant aux yeux des « puristes » perdus pour la cause depuis belle lurette, et pour encore pas mal de temps. Un trentième album passé inaperçu, avec pour appâter le chaland plusieurs invités prestigieux : le retour des Head Hunters, le bassiste Jaco Pastorius et les deux amis du V.S.O.P, l'inoxydable Ron Carter et Tony Williams. Mais peut-on réellement miser sur la naïveté de l'auditeur après les navets enregistrés par le claviériste ces dernières années ? Bref, ce casting n'est-il pas tout simplement de la poudre aux yeux, procédé bien connu par l'industrie du disque pour nous vendre ses produits frelatés. Pourtant, à la grande surprise du préposé, et ceux dès la première écoute, on reste effectivement agréablement surpris par le résultat final. Premier point, Hancock revient à une exigence musicale passée semble-t-il trop longtemps sous silence en solo, n'hésitant pas à revenir à des plans plus complexes, au bon souvenir de ces dernières expériences avec le V.S.O.P, abandonnant au passage les vocaux putassiers qui polluaient les précédents disques. A noter que, même si le compositeur de Watermelon Man, continue de jouer d'une multitude de claviers (clavinet, Minimoog, ARP 2600 et autres synthétiseurs), les moins rancuniers seront ravis d'apprendre que le piano retrouve enfin sa place... le temps d'un morceau. Deuxième point, et non des moindres, Herbie met en berne, le temps d'un album, cet aspect tape à l'œil qui faisait grincer les dents et saigner les oreilles. Et quand bien même la production a pris un coup de vieux, un disque encore trop tendre ou surproduit par moment, on saura gré à Hancock et à ses claviers d'être encore audibles aujourd'hui en 2009, pour un disque produit en 1980. Troisième point, pour le geek mélomane qui lirait ces lignes, Mr. Hands est le premier album d'Herbie Hancock où ce dernier utilise un Apple II pour ses effets sonores.
De même (mais on y reviendra), Mr. Hands s'apparente par moment à une relecture du passé. L'album s'ouvre par un Spiraling Prism qu'on pourrait croire issu d'un Thrust version 80, mais en plus évanescent, avec une production plus claire aussi, un parallèle qui justement permet de faire le lien avec les derniers disques des 70's de l'autre groupe de jazz électrique de cette décennie, le Weather Report. Transition toute trouvée pour le deuxième titre Calypso puisque comme son nom l'indique, ce dernier prend des accents world, à la fois latino et surtout caribéens avec cette particularité : le son des fameuses steeldrum provient d'un synthé pour une composition avant tout acoustique. Puis vint la surprise, la bonne surprise même, en tout cas loin de la catastrophe annoncée, Just Around the Corner. On pouvait espérer en effet que le pianiste allait mettre en veilleuse le temps d'un album ses poussées disco/funk... mais non. Le pire ou pas, c'est que cette fois-ci, après quatre années de divers ratages, la sauce arrive à prendre... étonnamment ! La cause à une rythmique diablement efficace et à l'absence de ce satané vocoder dont Hancock eut toutes les peines du monde à s'en débarrasser. En citant précédemment le groupe de Joe Zawinul, la quatrième plage 4 AM nous convie la présence du bassiste du Weather Report, Jaco Pastorius, qui rend une copie correcte, certes sans grande prise de risques mais où on peut toujours apprécier son style si particulier. En écrivant tout à l'heure, un retour vers le passé, on serait tenté d'apprécier alors celui de la formation de 1973 sur Shiftless Shuffle. Morceau globalement anecdotique cependant, reprenant au passage pas mal de plans des glorieux albums antérieurs, mais qui a au moins un mérite, celui de rester encore agréable, même s'il n'apporte pas grand chose à l'édifice. Textures clôturant l'album permet à Herbie Hancock de conclure sur une note méditativo-synthétique, ce dernier étant seul aux commandes avec ses divers claviers.
Au final, Mr. Hands reste certes un album mineur, handicapé par une production manquant cruellement de relief, mais qui reste plaisant malgré tout (qui plus est en tenant compte justement de son année de production). Mr. Hands, un arbre qui aurait pu cacher la forêt des médiocres disques de son auteur au tournant des années 80, si celle-ci n'avait pas été aussi ravagée par ces pluies acido-disco/funk du pauvre.
http://www.therockyhorrorcriticshow.com/2009/09/mr-hands-herbie-hancock-1980.html