Quarante ans exactement après la sortie du cultissime Revolver des Beatles (1966), un trio qui ne renie pas ses influences naît à Paris. Ambroise Willaume, Christophe Musset et Jérémie Arcache jouent ce qu’ils appellent de la « pop de chambre ». Délicate, calme, intimiste, dépouillée, sans extravagances, leur musique répond bien aux attentes du genre. Avec leurs têtes de jeunes premiers et leurs voix de chérubins, les trois Parisiens peuvent interpréter des morceaux dignes de « Here, There or Everywhere » avec crédibilité et sérieux. Mais le qualificatif de « pop baroque » reflète au moins aussi bien l’essence du groupe et la formation classique de deux de ses membres : le violoncelle caractéristique de Jérémie n’est pas sans rappeler le chef d’œuvre baroque que fut « Eleanor Rigby ». Viennent s’y joindre guitares et harmonies sur un rythme léger, et d’autres instruments acoustiques comme le piano ou l’harmonica à l’occasion.
Le titre du premier album de Revolver, Music for a while, leur convient tout autant que leur nom. D’apparence un peu pompeuse, il suggère ce que l’on peut ressentir à l’écoute de cet album : la nécessité de combler un instant le silence effrayant par la beauté auditive. Du splendide « Birds in Dm » qui ouvre l'album avec un émerveillement limpide au prudent « It’s Alright » qui le conclut comme une acceptation du néant, l’auditeur sensible passe par différents états d’âme incluant la nostalgie, l’innocence, l’amour-propre, l’amusement, la joie, le dépit, l’empathie, le romantisme, le désespoir et le courage. Mais une bonne musique ne se contente pas de susciter des affects simples, elle en crée des complexes : et c’est ce que fait Revolver avec le piano enrobé de "Balulalow", la remontée parallèle des chœurs et du violoncelle de « Untitled No. 2 » ou encore l’épopée fantastique de la guitare solo de « A Song She Wrote », qui constitue sans doute le moment le plus fou de l’album. Le côté académique du groupe joue en sa faveur.
Contagieux et fédérateur, le single "Get Around Town" ne saurait éclipser le reste. Comme d’autres albums qui ont un certain penchant pour la perfection, Music for a While comporte douze titres, et chacun d’eux est une perle. Les imperfections dont il souffre ne font que contribuer à le rendre plus attachant : elles semblent causées par une volonté de trop bien faire, de la part de musiciens trop bien coiffés. Cela se ressent surtout dans le chant et les chœurs, qui suivent les modèles des années 1960 : pas seulement les Beatles, mais aussi les Beach Boys et Simon & Garfunkel. Ces derniers, par exemple, chantaient souvent exactement la même mélodie sur des tonalités proches mais différentes, phénomène qu’on retrouve notamment sur les refrains de « Leave Me Alone » et « Untitled No. 1 ». Le résultat est tout aussi magnifique.
La langue anglaise, qu’ils manient avec aisance, est appropriée pour évoquer des images vagues, presque subliminales, à un public francophone. Il y a une histoire derrière chaque texte, mais les fragments captés par une oreille davantage concentrée sur la mélodie ont un pouvoir encore plus fort : chacun peut, à certains endroits, deviner un lien profond entre ce qu’il entend et sa propre vie. Ces quelques moments de musique sont une source de méditation sans fin. Music for a While fait de Revolver en France ce que sont Kings of Convenience en Norvège : un groupe en dehors du temps et de l’espace, qui parvient en une inspiration à briller au milieu de ses contemporains plus terre-à-terre. Voilà un disque à posséder.