Mustango
7.8
Mustango

Album de Jean-Louis Murat (1999)

Elysian Fields, l'Amérique des bas-côtés aide Murat à se trouver enfin, sur un album ni paysan ni dépaysant. Du côté de Sedona, à quelques miles au nord de Phoenix, l'Arizona ressemble parfois étrangement au Massif central. En cherchant bien, on pourrait peut-être même y trouver un bled du nom de Murat. Ça tombe bien, Jean-Louis y a enregistré une partie de son nouvel album, et l'autre à New York, en compagnie de musiciens locaux (Calexico, Elysian Fields, Marc Ribot, Eszter Balint...) qui ont en commun de jouer de leurs boisés instruments avec des gants de velours humide, dans les tons pourpres. Les nouveaux amis de Jean-Louis ne sont pas du genre à se fouler le poignet sur un manche de guitare, d'une sensualité nonchalante qui colle à merveille aux croquenots du plus liquéfié de nos chanteurs. Fin d'une méprise. Murat a longtemps souffert ­ ou bénéficié, selon le point de vue ­ d'une énorme distorsion entre, d'une part, ses chansons et sa vie (médiatique) d'excentrique au grand air et, d'autre part, sa musique à tendance electro-pop au bord de l'aseptie ­ jugement à peine hâtif. Explorateur toujours en route d'un nombril plus grand que le Grand Canyon, Murat est un errant qui sait au moins où il ne veut plus aller : sur le plateau de Taratata, dans le coeur des petites filles. A la façon d'un Dominique A, il prend un peu plus ses distances avec le monde de la chanson française. A une époque, il était bon de le voir sur scène vêtu d'un T-shirt Swell, face à son public de professeurs des écoles et de fans de Mylène. Plus proche de Swell que de Bruel (mais pas si loin de Cabrel), Murat rêvait déjà du Far West. L'Eldorado est donc américain, mais Mustango moins dépaysant qu'il n'y paraît au compteur. Quelques vers en anglais, le sifflement solitaire d'une loco qu'on imagine affrétée par la Southern Pacific, un hommage à Calexico qui ne coupe pas les cheveux en quatre ("Oui je vois mieux/Qui je suis moi là/Avec Calexico"), des choeurs gospel qui gonflent de drame et d'émotion un titre (Nu dans la crevasse) dont le texte, pourtant, n'incitait pas à la mélancolie ("Hier à la poste, j'avais une mine atroce"), et c'est tout pour l'Amérique. Murat évite le piège à chanteurs français de l'album exotique, du fantasme de carte postale. Si l'on reconnaît la gorge profonde de Jennifer Charles (Elysian Fields), on note que Calexico a fermé la frontière aux espagnolades et aux serpents à sonnette, que le surdoué Marc Ribot a la discrétion de ne jamais faire la vedette. Mustango ne ressemble pas à ceux qui l'ont fait. Il ressemble à un Murat qui se serait enfin trouvé, accompagné sur quelques hectares de jachère accueillante par des musiciens au service sûr et modeste d'une voix qui atteint des sommets d'érotisme cramoisi. Rien ne change, juste le décor. Glissement de terrain. Murat est parti sans ses synthés ni sa boîte à rythmes, mais avec sa faune, sa flore, son manteau de pluie, ses garces fatales, son goût de l'espace, du silence et des mots travaillés comme une glaise jusqu'à l'abstraction. Et il est revenu avec Mustango, son premier disque qui jamais ne rime avec Obispo. (Inrocks)


La belle comptine que voilà : "Toi l'Auvergnat/quand tu iras aux U.S.A./que Calexico t'emporte en Arizona..." Bien sûr, on attendait beaucoup de cette rencontre, idéale sur le papier, entre le chanteur au spleen rural et le groupe de Tucson, habitué aux grands espaces désertiques. Mêlant ainsi sa plume, aussi douce et venimeuse que du curare sucré, au rock racé et hypnotique de Calexico, le temps de trois morceaux, Murat se sent enfin à son aise et se fend d'un touchant Viva Calexico, scellant l'union du Cantal profond et de cette Arizona qui ne l'est pas moins. Car Murat, tout au long de son parcours (de la peine), aura cherché en vain cette équation diabolique. En quinze ans d'activisme, il se sera accommodé à toutes les sauces musicales : variété bon teint, pop léchée, ambient ou trip hop. Enfin, après Murat En Plein Air, voici Murat en liberté, parcourant la Grosse Pomme à la rencontre de musiciens, Marc Ribot en tête. Et le résultat subjugue. Dès Jim, c'est la voix de Jennifer Charles d'Elysian Fields qui nous prend par la main et nous emmène dans un voyage désorganisé. On bouge beaucoup dans Mustango : Saint Malo, Tignes, Crémone, Belgrade... Partout, Murat pose son oeil las sur un monde auquel il n'appartient plus, ou si peu. Alors, il se forge une sphère idéale : ce sera Polly Jean et les rêveries d'un solitaire pendant un concert de PJ Harvey, les choeurs de soul antique dans Nu Dans La Crevasse, les ballades au piano de Mustang et du Mont Sans-Souci ou la satire sociale des Gonzesses Et Des Pédés. Au sommet de sa forme mélodique et magistralement accompagné, Murat publie-là, juste après Dominique A, le meilleur album français de l'année.(Magic)
"... Oui je vois mieux qui je suis là" (sur "Viva Calexico") est peut-être la phrase qui résume le mieux ce nouvel album de notre chanteur amateur de bovidés. Car le Murat en choisissant des collaborations foireuses, en jouant le malheureux excessif (ouh que c'est dur d'écouter certains textes des albums précédents sans se gausser), en en faisant des tonnes musicalement avait fini par nous lasser. Cet album vient nous faucher dans nos certitudes dédaigneuses et surtout nous enchanter. Bon on ne va pas non plus dire que cet album est sans défauts ("Nu dans la crevasse" avec ses épouvantables choeurs accompagnés de guitares électriques baveuses ou bien le très gentillet pop "Les Gonzesses et les Pédés") mais c'est sûrement, et de très loin, le meilleur qu'il nous a délivré. Ici plus de paroles gnan gnan ou cul cul mais, peut-être après un passage chez Bashung, des textes d'une abstraction délicieuse avec quelques sommets sur "Belgrade" (et tout particulièrement le "Dieu que la Corrèze est liquide" - ah et si son plus ardent défenseur pouvait s'y noyer...). Et puis musicalement on ne s'est jamais senti aussi proche de Murat : disparues les sonorités froides et électroniques pour laisser place à la chaleur des instruments et des voix américaines (guitariste et batteur de Calexico, choeurs de Jennifer Charles d'Elysian Fields), oubliés les rythmes éthérés pour faire place aux entraînants "Jim" et "Polly Jean"...Comme quoi un amour vache peut se transformer en relation sensuelle.(Popnews)
bisca
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le 5 avr. 2022

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