Mutations
7.1
Mutations

Album de Beck (1998)

Times They Are A-Changin'... Ou comment la prédiction lancée par Dylan dans les années 60 trouve aujourd'hui son prolongement avec l'un de ses fils spirituels les plus doués. Hier, Beck, déguisé en trublion "slacker" dynamitait les canevas du folk et de la country, traduisant en langage jeune (via le hip hop ou le rock qui fait du bruit) le vieux dialecte du blues. Aujourd'hui, le voilà habillé en V.R.P. glissant doucement vers une sorte de conservatisme qui tranche de moins en moins dans le paysage du rock américain. Mutations, devait à l'origine sortir sur le petit label Bongload comme au temps de son premier single Loser. Mais Geffen, en bon gestionnaire, a récupéré l'affaire et Mutations, qui devait être ce fameux disque-bricolo promis par Beck depuis des lustres, s'avère être son album le plus sage et le plus académique. Peu de dérapages (hormis Diamond Bulloks en fin de parcours), trop peu de surprises (Cancelled Check et Static, déjà repérés sur quelques disques non-officiels, datent de... 1994) et pas mal d'emprunts à la pop anglaise comme ce Dead Melodies, voisin du She's leaving Home de Mc Cartney (!), ou O Maria, typique des Kinks des 60's. Autres exemples de mélodies d'une douceur insoupçonnée, Cold Brains, hymne traîne-savate pour feux de camps fatigués, Nobody's Fault..., folk psychédélique à usage nocturne ou le réjouissant Tropicalia comme un hobo perdu sur la plage de Bahia, dansant la bossa avec Jobim. La mutation annoncée prend alors tout son sens : le Loser mal peigné d'hier est devenu un sémillant jeune homme à allure de cadre en virée chez les ploucs du Midwest. Comme Beck est toujours aussi doué pour tromper son monde, il échappera pour cette fois-ci au goudron et aux plumes. (Magic)


Annoncé comme une parenthèse par Beck, Mutations est pourtant un chef-d'oeuvre. Encore un.Le morceau le plus impressionnant du sixième album de Beck ­ album lui-même impressionnant d'un bout à l'autre ­ s'intitule Diamond bollocks. Oui : Couilles en diamant. Il s'agit d'une espèce de mini-soundtrack pétaradant comme du John Barry (pour les diamants éternels) acoquiné aux Sex Pistols (pour les bollocks) dans un prochain James Bond expérimental tourné avec des lunettes-caméra dont Joe Meek aurait trafiqué les focales. Bref, c'est du Beck pur jus. Le second morceau le plus impressionnant, Tropicalia, est une samba délicieuse où l'on croirait entendre un Barry Adamson méchamment à la coule qui aurait emballé tout le harem de Sergio Mendes. C'est encore du Beck, pur jus exotique cette fois.Le songwriter américain le plus important de la décennie est ce jeune homme encore duveteux et épais comme un amour de vacances, mais c'est en réalité un mutant. Mutations n'est pas un titre hasardeux. A chaque album, son empreinte génétique prend des tournures encore mal répertoriées dans nos grimoires. On ne plaisante pas : Beck fout la trouille. Tant de dons additionnés ne peuvent pas, rationnellement, cohabiter dans un cerveau humain de proportion normale. Comme ça, Mutations n'a l'air de rien : juste un petit disque alternatif dans la discographie officielle, un exercice qualifié de parenthèse par son auteur en attendant le vrai successeur d'Odelay programmé pour l'an prochain. Pourtant, Mutations n'est pas un album de folk-songs torsadées et malingres, pas même un caprice expérimental d'une star pouvant s'offrir le luxe d'emmerder la galerie. C'est au contraire une collection de chansons soignées, écrites au cours de la dernière tournée et déroulées sans accroc au printemps qui suivit en compagnie du même groupe que sur scène. On reconnaît au passage les claviers tournicotants, cabriolants et gazouillants de Roger Manning (Mr Moog Cookbook), mais ce sont les seules machines à s'être vu autoriser l'entrée du studio. Aucun sample, pas le moindre beat hip-hop, l'électricité en veilleuse, c'est cette fois une flottaison d'instruments tamisés qui enrobent, calfeutrent, effleurent et arrondissent aux angles ce que Beck avait de plus délicat dans son immense panoplie.On ne l'avait encore jamais vu ainsi, en tout cas pas en même temps : en crooner folk doté d'un flegme mexicain (O Maria), en Ray Davies titubant sous une valse d'étoiles au sortir d'un bal perdu (Sing it again), en Donovan faisant Dylan faisant l'âne (Cold brains), en countryman décontracté (Canceled check), en roucouleur de toutes les couleurs pourvu qu'elles soient chatoyantes. Surtout ne pas se fier à l'un des titres, Dead melodies, sacrément trompeur puisque Mutations est de loin l'album de Beck qui carillonne le plus facilement à l'oreille, le plus rapide à apprendre par coeur et à siffler sous la douche, le plus (osons le mot) pop. Comme si le plasticien performer touche-à-tout de Mellow gold et Odelay s'était cette fois astreint à reprendre fusains et gouaches et à ne jamais déborder du strict cadre bidimensionnel des chansons : juste pour (se) prouver qu'en toute discipline ­ et même quand la discipline est comme ici draconienne ­ il peut prétendre aux plus hautes marches. Mutations n'est peut-être qu'une parenthèse, mais cette parenthèse nous ouvre en grand ses bras douillets, nous réapprend à respirer l'écume douceâtre et profonde des veillées à la fraîche, à écouter les mouches voler en planeur (Lazy flies), à siroter du bon temps. C'est même l'un des disques les plus accueillants qu'on n'ait jamais entendus. Surtout de la part d'un mutant. (Inrocks)
A Beck on a toujours attaché l'image d'un touche à tout génial incapable de rester sur les mêmes rails pendant un trajet, s'évadant des formats figés pour construire une suite d'albums superbes et finalement cohérents. Beck est un recycleur capable d'avaler l'air ambiant et d'en ressortir le meilleur. Pour "Mutations" il va falloir faire un petit effort pour ne pas rechercher les bidouilles habituelles du frêle bonhomme ! Beck, avec ce dernier, recycle bien comme d'habitude, mais cette fois-ci il fait dans le classique : la folk et la country sans les déstructurer ni les traumatiser. "Mutations" se veut un album calme, de transition, avant de repartir sur quelques nouvelles folies et instants magiques. Se côtoient sur ce disque une majorité de morceaux sans épines cachées qui doivent autant aux mélodies sublimes (mais il est vrai non innovantes) qu'à la voix grave sortie d'on ne sait où. Dès "Cold Brains" le ton est donné et seules deux plages viennent casser cette mécanique : "Tropicalia" qui débarque joyeusement avec son tempo empli d'Amérique Latine et "Diamond Bollocks", le bien nommé, qui aurait très bien pu figurer sur "Odelay".En fait la seule déception de ce disque est que pour la première fois on rentre sans encombre dans l'Univers de Beck … mais a-t-on le droit de parler d'une déception ?(Popnews)
bisca
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le 26 févr. 2022

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