Avec un titre comme ça, il faut quand même s’armer de foi pour arpenter ces immensités arythmiques et atonales, dépeuplées du moindre autochtone, et s'aventurer sur chacun des 4 CD qui composent le voyage organisé vers des espaces délimités comme "sacrés", "labyrinthe", "futur récent", et "morceau d'infini", même sans se soumettre aux diktats des marchands de tapis du marketing, particulièrement en verve pour pérorer et postilloner sur ce quadruple album («  the creme de la creme of Steve's work », mais ils disent ça souvent).
CD #1 : dans la veine atmosphérique, c’est un opus imposant du sculpteur paysagiste d'espaces sonores, devis gratuit, travail soigné. Ne cherchons pas trop à le scruter des oreilles comme on dévisagerait un paysage visuel, mais laissons-le infuser à bas volume, en triant nos vieux relevés de CCP, en épluchant nos cactus pour faire une bonne omelette au peyotl, suspendons notre jugement pour un temps et respectons notre part du pari que Steve prend avec l'auditeur sur sa capacité à entrer dans le majestueux mais minimal royaume des mondes électro-acoustiques non rythmiques.
Nous voici au début du travail "immersif" qui s’étalera sur le reste de la décennie.
C'est souvent froid comme un Vangelis sous barbituriques, mais si on ne s'immerge que là-dedans pendant quelques temps, on finira par la trouver bonne. C’est physiologiquement prouvé.
Le spectre d’effets possibles s'étend du sédatif léger à l'anesthésie totale, c’est pourquoi les barbituriques sont de nos jours beaucoup moins prescrits en raison de leurs effets indésirables, du risque d'abus, et de l'arrivée sur le marché de molécules à l'action comparable mais aux effets secondaires réduits et à la toxicité limitée (entre autres les benzodiazépines). Ici on est moins neurotoxique que juste chiant. Ah, tiens, le jugement est revenu par la porte de derrière, après avoir fait le tour par le jardin.
CD #2 : sous une voûte immense, un accord cristallin se déploie en réverbérations inhumaines, qui ont commencé d’éclore bien des éons avant notre arrivée et persisteront longtemps après notre départ, émanant comme autant d’acouphènes divins tombés d’un céleste empire sur nos crédules esgourdes, ponctué de crissements d’oiseaux et d’insectes. Quiétude qui n’évolue que très lentement. Dans trois jours, l’organiste risquera peut-être un do# à la tierce majeure sur la partie haute du clavier, qui mettra plusieurs CDs à s’épanouir pleinement, mais je n’en mettrais pas mes ailes de chérubin à couper. Dans ce qui est peut-être un voyage rêvé vers un Groënland imaginaire, car dépourvu du moindre esquimau, toute chaleur n’est pas exclue, mais ça met très longtemps à fondre. Les esquimaux aussi.
CD # 3 : l’équivalent sonore d’une de ces lampes à lave psychédélique des années 60 qui contient un liquide transparent dans lequel évoluent des boules colorées de cire fondue, montant et descendant selon la chaleur dégagée par l’ampoule placée dans le socle.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Lampe_%C3%A0_lave
On perd vite pied dans cet océan de sons retournés à l’état liquide, indifférenciés, et en plus on risque d’attraper des amibes. Même pour un professionnel du désert comme Théodore Monod/stéréo, 4 CD d’aridité aquatique, c’est trop ténu pour être écouté, mais quand le mental lâche prise et qu’on l’entend enfin, ça peut troubler : au moment où on cesse d’y prêter attention, ça peut s’offrir à vous. Etonnant, non ?
CD #4 : il faut encore un sursaut de foi pour entrer dans la « piece of infinity » sorte de caverne lumineuse pas vraiment mortifère, mais si languide que la somnolence est garantie et l’accident certain si écouté sur autoroute. On est à nouveau dans les limbes, qui désignent soit un état intermédiaire et flou, soit le séjour des âmes des justes avant la Rédemption, ou des enfants morts sans baptême. Comme je ne sais plus trop où je suis, au bout de 4 CD, mais que je me rappelle que je ne suis pas baptisé, je vais rester poli. Des fois que.

john_warsen
1
Écrit par

Créée

le 6 mars 2021

Critique lue 36 fois

john_warsen

Écrit par

Critique lue 36 fois

D'autres avis sur Mystic Chords & Sacred Spaces

Mystic Chords & Sacred Spaces
Aurelien_M35
9

Un chef d'œuvre de la musique ambient

Avant toute chose, je tiens à préciser que cette critique ne concerne que le volume 1 des Mystic Chords and Sacred Spaces et non l'édition complète. Pour en venir au disque proprement dit, ce double...

le 5 janv. 2020

Du même critique

Live at SoundQuest Fest 2021 (Live)
john_warsen
4

Critique de Live at SoundQuest Fest 2021 (Live) par john_warsen

Interminable pensum de cascades de friselis d'arpèges harmoniques texturés et programmatiques, sauf pour la dernière piste, sauvée de la langueur monotone par les boites à rythme tribales, comme on...

le 8 oct. 2022

Temple of the Melting Dawn
john_warsen
4

Critique de Temple of the Melting Dawn par john_warsen

Steve et Serena visitent le Temple de l'Aube fondue, main dans la main en grignotant du gruyère râpé. Il a amené ses synthés, elle a pensé à apporter ses flûtes, son harmonium de poche, tout ce qu'il...

le 8 oct. 2022

Into the Majestic
john_warsen
8

Critique de Into the Majestic par john_warsen

Il y a des disques de Steve Roach qui ronflent et grondent comme un Alligator 427 en approche de Kyiv. Celui-ci, non. C'est même un disque de musique planante comme on n'en attendait plus de la part...

le 8 oct. 2022