John Zorn – New Traditions In East Asian Bar Bands (1997)
Un album très étonnant de la part de John Zorn, bien que l’étrangeté dans ses projets et sa musique ne soit, en vérité, plus une surprise. Pour autant cet album pourrait être qualifié de « délicieux » ce qui contrebalance en totalité cet aspect inhabituel, bizarre et pour tout dire en fait, si exotique.
John Zorn s’en va, musicalement, en extrême orient, ou plutôt, pourrait-on corriger, il s’y rend, mais par la pensée et l’imagination, solidement accroché au fauteuil de son salon… Ce voyage se fait en trois étapes musicales.
Le premier d’entre eux se nomme « Hu Die », la pièce dépasse les vingt-cinq minutes et concerne deux magnifiques et prodigieux guitaristes, ils sont exceptionnels, Bill Frisell et Fred Frith, un duo tout simplement génial et très complémentaire, doté d’une véritable intelligence musicale. Mais ils ne forment qu’un pôle de la musique.
L’autre tient en un très long texte signé par Arto Lindsay lui-même, bien qu’il soit guitariste, il n’use ici que de la plume, et encore on lui adjoint un traducteur qui en fait une nouvelle écriture en langue chinoise. C’est Zhang Jinglin qui sera la récitante. A ce jeu tout est musique, les guitares, mais aussi la voix de Zhang qui se promène et laisse s’écouler le texte, avec l’intonation et le charme doucereux de cette belle langue, qui devient une sorte d’instrument, à égalité avec les guitares.
Nous restons dans une zone géographique très proche avec la seconde composition « Hwang Chin-ee », dite cette fois-ci en Coréen par une autre récitante, « Jung Hee Shin », qui dit un texte de Myung Mi Kim. Ce sont les batteurs Joey Baron et Samm Bennett qui, cette fois-ci, sont en charge de la partie instrumentale, même si la voix, à cette occasion, joue également ce même rôle, dans un registre différent de la pièce précédente.
Cette pièce frôle les dix-sept minutes et s’éloigne de l’atmosphère rêveuse et hypnotique qui dominait dans le trio chinois. Ici c’est plus dynamique, les percussions s’évertuent et autorisent les intonations plus directives, voix forte ou déclamatoires. Même si la tonalité générale reste malgré tout très contenue au niveau de la manifestation des émotions, ce qui n’empêche pas d’engager une phase très active, suggérant des mouvements et des actions, peut-être des déplacements... Il faut ici souligner que les compositions sont créditées à John Zorn lui-même.
La dernière partie est la plus conséquente, dépassant la demi-heure, elle se nomme « Quề Trân », en vietnamien. Deux musiciens tiennent les claviers, Anthony Coleman et Wayne Horvitz, la narratrice se nomme Ánh Trần, sa voix est très calme et très posée, quand elle parle, elle chante pourrait-on dire, les inflexions utilisées permettent cette audace.
L’ambiance est assez féérique, voire fantomatique, on retrouve ce jeu entre les instruments et les voix, comme un dialogue ici, avec le silence parfois en partage. L’improvisation est essentielle également, tant sur ce troisième titre que sur les deux autres. Nous sommes face à un instantané entre ces trois instruments qui échangent, la voix et l’électricité, la force du silence également, du murmure et de la confidence, comme un partage…
Un grand et bel album, assez unique, original, qui mérite une écoute attentive.