Passé de sensation du jour à ringard du lendemain en moins de temps qu’il n’en a fallu à sa maison de disques pour lui claquer la porte au nez, The Electric Soft Parade aurait pu inscrire son nom en bas de la grise liste des groupes inachevés, tués dans l’œuf et lessivés par le système mortifère du music-business. Il a préféré riposter avec son meilleur album. Fallait-il que le duo fraternel largue les amarres pour s’extraire des chaînes d’une écriture rock un peu convenue ? En tout cas, la coïncidence est troublante. Livrés à eux-mêmes, les anciens ados de Brighton mordillent leurs tenaces obsessions californiennes jusqu’à l’os, lancés sur les traces des pionniers du rêve musical américain comme s’il était enfin à leur portée. Et ce sans jamais concéder un seul poil de personnalité, fût-il issu de la barbe de Dennis Wilson ou chipé au sourcil de Todd Rundgren. Cette liberté forcée leur a permis un séjour indéfini en studio, sourds à l’impitoyable tic-tac de l’horloge, portés par leur seul enthousiasme de producteurs débutants, pour offrir de sémillantes perspectives à leurs chansons oniriques et contemplatives. À croire qu’on leur avait jusqu’ici infligé d’impossibles tâcherons derrière la console, car jamais leurs guitares n’avaient semblé si percutantes, ivres d’entrain bucolique (Shore Song/Surfacing) ou de rondes acrobaties (If It’s The Case, Then I Don’t Know), la croupe gonflée de soleil comme chez Weezer (Misunderstanding). Du flot ininterrompu de leurs mélodies capricieuses, dont le balancement des humeurs est aussi surprenant et grisant que la météo d’un automne anglais, émane toute l’intelligence de ces artisans, capables de faire chavirer les cœurs en quelques notes salées de glockenspiel. Avec une telle maîtrise de l’espace, les frères White ne pouvaient pas faire cent blancs.(Magic)