Alors, ce nouveau Manset ?", me demande ma mère. Ben, je sais pas trop à vrai dire. C'est toujours comme ça avec les artistes qui enregistraient déjà de bons disques quand nos parents pensaient encore aux mobylettes et aux bas nylon. Quand on les découvre à quinze ans (à condition qu'ils ne soient pas morts ou qu'ils ne fassent pas des disques pour payer leurs impôts), on se dit que nous aussi, on aimerait bien qu'ils nous refassent un truc du niveau de Blonde On Blonde ou de Ram (ok, McCartney a presque réussi). C'était en 1989, les Stones avec Steel Wheels, Neil Young avec Freedom et Dylan avec Oh Mercy. Leur meilleur album des années 1980, mais loin des sommets des années 1960 et 1970. Pour Manset, ce sera Matrice (1989), son deuxième chef-d'oeuvre de la décennie. À la réécoute, Matrice est dix-sept ans après, de la trempe de Lumières ou de Royaume De Siam La Mort D'Orion (1970) étant bien sûr hors catégorie. Depuis, on attend chaque nouveau Manset en ayant tout ça en tête. Après des années 1990 à oublier, il se pourrait que cet Obok soit le meilleur disque de Manset depuis Matrice. Bon, c'est sûr, Nigel Godrich n'est pas aux manettes : sax ringard, clichés de guitares, réverbérations qui font des kilomètres... Mais cette production d'un autre âge n'est-elle pas au coeur même du mythe Manset ? Ce qui frappe ici, c'est un retour à une certaine simplicité qui laisse pas mal de place aux mélodies et à cette voix joliment vieillie, pierreuse. À mi-chemin entre le Manset voyageur et le Manset plus introspectif, Obok séduit quand même pas mal. Dans le style piano/voix toujours très réussi chez le gars Gérard, Jardin Des Délices et Veux-Tu ?, les deux perles de l'album, laissent filtrer une nostalgie assez nouvelle. Le moins bon : le boogie rock pas top de la chanson titre Obok (malgré un très bon texte) et l'histoire à rallonges de Fauvette (Manset n'est jamais aussi bon que lorsque ses textes claquent). Au final, ce sont les morceaux les plus lents et tristes (Jardin Des Délices, Ne Les Réveillez Pas, Veux-Tu ?, La Voie Royale) qui fonctionnent le mieux. Alors même que Manset voulait faire de Obok un deuxième Royaume De Siam ("Exit le gris, le sombre", lit-on dans le livret qui accompagne le disque), c'est pourtant bien ce gris et ce sombre qui raflent encore la mise. Il reste trois ans à Manset pour enregistrer son chef-d'oeuvre de la décennie. Il est bien parti. "Je crois que je préfère Raphaël", me répond ma mère. Ah bon, d'accord. (Magic)
Manset est de retour. Finalement, on ne l'attendait pas de si tôt : il nous avait habitué à des escapades plus longues entre deux disques. Mais il est bien là, sur le pas de notre porte, en chair et en os – ces guitares tumultueuses, ces pianos à l'attaque franche et cette voix particulière – et le plaisir qu'on a à le retrouver est indéniable. Il n'a pas vraiment changé, évoque toujours ces paradis originels qui lui tiennent tant à cœur : l'enfance bien sûr mais aussi les ailleurs – Afrique, Asie, continents naguère préservés qui se délitent avec le temps. Grand écart permanent entre ces idéaux perdus et cette vie occidentale, teintée de gris ; "Fauvette", une adolescente fugueuse peinte dans ce décor de station-service d'autoroute, le poids de la réalité contre ce désir de découvrir, de fuir. Manset est de retour. Et avec lui, ce bestiaire omniprésent, ce saxophone échappé de "Matrice", ces reggaes improbables qui se terminent en apocalypse salutaire, ces échafaudages miraculeux de guitares qui claquent et qui grondent, de batteries conquérantes et d'orgues somptueuses. "Le Jardin des Délices", "La Voie Royale", morceaux ambitieux dans la plus grande tradition, mais qui parviennent toujours à nous soulever comme une plume. Absentes remarquées cependant, les cordes que Manset sait pourtant si bien arranger ont été mises de côté sur ce disque ; on pourra le regretter mais cela n'enlève finalement pas grand chose à la complexité de ses compositions. Autre évolution qui prolonge cette fois "Le Langage Oublié", l'usage accru de la première personne et des expériences personnelles ; Manset remet sur le mur ce masque qu'il portait et apparaît même (de dos) sur la pochette : "Ne les réveillez pas", nocturne émouvant dont le piano inspiré de Chopin dégage presque autant d'émotion que la chanson "Quand on perd un ami" sur l'album précédent. Manset s'essaie même avec une certaine réussite à l'ironie dans "Pacte avec mon sang", relecture du mythe de Faust au milieu de guitares prêtes à bondir - chiens de garde en laisse, devant le rôdeur qui approche.
On retrouvera donc dans cet album la densité d'un bon album de Gérard Manset (à part peut-être "Veux-tu ?", que je trouve un peu plus faible) : les rouages sont bien huilés, la vapeur s'échappe de toute part, le curseur est en place : Manset est bien de retour.(Popnews)