Ocean Songs
7.1
Ocean Songs

Album de Dirty Three (1998)

Pour la petite intro contextuelle : Dirty Three est un trio qui nous vient de Melbourne et dont Ocean Songs est le quatrième album (et le plus passionnant). La figure de proue de cette joyeuse bande est un type qui s'appelle Warren Ellis - rien à voir avec le dessinateur de comics. Vous avez peut-être déjà croisé ce gus dans les BO des films de John Hillcoat ou dans celle de L'assassinat de Jesse James, qu'il a co-signé avec Nick Cave ; ou encore, tout simplement, dans les Bad Seeds qu'il a rejoint en 1996.

La musique des Sales Trois en endormira plus d'un - c'est une formule à base de violon pleurnichard, de guitare fragile et de batterie indécise.
Pourtant c'est captivant dès les premières secondes. Grâce à un effet de son tout con, au début de "Sirena", qui fait passer la musique du mono au stéréo. La musique démarre ainsi par une sorte d'enregistrement au son granuleux, et va petit à petit se faire plus nette ; comme si la musique se rapprochait soudainement de nous et prenait pied dans le réel. Et puis le violon arrive.
On est alors emporté dans des ballades instrumentales lancinantes et langoureuses, bercé par des mélodies aux petits oignons comme celle de "Restless Waves" qui reste mon premier grand souvenir de l'album. J'ai l'impression que l'âme du groupe australien tient à la fois du poète maudit et du marin celte.
Du poète, parce que leur musique s'articule autour de trois instruments, trois voix, qui vont chacune s'exprimer avec une sensibilité et une finesse rares. Ils ont chacun leur part de liberté, ce qui fait qu'on s'approche souvent d'une forme d'improvisation, avec un effacement des marques rythmiques qui favorisent cette idée d'instabilité mais transportent plus facilement l'auditeur dans un torrent d'émotions.
A contrario, comme le souligne Flagblues, pas d'envolées comme on a l'habitude d'en voir dans le post-rock. Ca tombe bien, l'étiquette ne colle pas vraiment. À l'instar de Tortoise, ce sont avant tout des précurseurs du genre avec leur formule unique et expérimentale qui voyage déjà bien loin des carcans du rock.

Une sorte de passion mélancolique s'en dégage, laissant l'auditeur dans un état de "contemplation" - un mot-bateau certes (putain de Malick il a ruiné ce mot à jamais) mais qui s'applique trop bien à la musique de Dirty Three pour ne pas l'évoquer. Parce qu'on la voit bien, la mer sombre, les vagues, le bateau qui tangue, l'immensité du ciel... toute leur musique dresse un paysage saisissant par de fines nuances de couleurs, par un balancement constant, avec un feeling particulier qui a quelque chose de jazzy dans sa spontanéité.
Donc non, pas de tempête, même si on peut sentir une bonne montée en puissance dans "Deep Waters" qui ne manquera pas d'inspirer bon nombre de groupes se réclamant du post-rock.

"Sea Above Sky Below" est certainement l'un des titres les plus mémorables, où le violon atteint le point dramatique ultime (oui, je suis un peu maso) et s'accompagne pour l'occasion d'un piano. A noter qu'en concert, Warren Ellis a introduit ce morceau en disant "vous savez, quand vous avez trop bu et que vous allez vomir, vous avez la tête à l'envers dans les chiottes, et l'eau est en haut et le ciel en bas". Un truc comme ça. Pas glamour pour un sou le Warren.

Le reste de l'album n'est pas en reste, entre un jeu de guitare en arpège au son cristallisé ("Black Tide") où la moindre note se détache de façon mesurée, juste assez fort pour percer le silence - un silence dont ils ont d'ailleurs pleine mesure et qu'ils utilisent à bon escient, un peu comme le faisait Talk Talk dans Laughing Stock.
La batterie, elle, balaye, balaye encore, finissant par procurer à la musique une sorte de fourmillement étrange par un jeu imprévisible, engourdi, toujours évasif.
Puis il y a le violon, sûrement le plus libre des trois, qui assure une sorte de chant par intérim pour Warren Ellis. Ses envolées passionnées, parfois accompagnées au piano, regorgent d'une force émotionnelle brute et saisissante.
La seule chose que je pourrais reprocher à l'album à ce stade est son homogénéité - ça n'est à aucun moment fou, fantasque - mais d'un autre côté ça donne à la pièce musicale dans son ensemble une intégrité, une pureté qui fait aussi son oeuvre.

Note : Sinon pour le titre de la critique j'avais "Sortez les violons" ou "vague à l'âme" aussi. Mais je ne doute pas que d'autres que moi appuieront sur le côté pathos du disque, donc j'ai essayé de me concentrer sur ce qui à mon sens dépasse cette sensation, c'est la grâce et la beauté saisissante qui habite l'album. Après la noirceur grésillante de Sunn, les mélodies pop de New Order et le rock super-indé de R Stevie Moore, je me disais que ça changerait radicalement le ton.
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9
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le 10 avr. 2013

Modifiée

le 16 avr. 2013

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