En seulement une poignée de références, Melankolic le label de Massive Attack, faut-il encore le rappeler une dernière fois ? s'est constitué un catalogue impeccable, digne de son intouchable devise ("glad to be sad"), provoquant à chaque fois un affolement sensoriel. Après le reggae sensuel d'Horace Andy, la soul voluptueuse d'Alpha, les symphonies imaginaires de Craig Armstrong et le hip hop noctambule de Lewis Parker, voici la folkhop moderne de Day One. Comme le génial tandem d'Alpha, ce duo constitué des tout jeunes Phelim Byrne et Donnie Hardwidge (même pas cinquante ans au compteur à eux deux) est originaire de Bristol. Autant dire que la célèbre ville portuaire de l'Avon a encore tamisé de sa douce mélancolie cette musique aussi charnelle que cérébrale. Car le chanteur Phelim Byrne, "une mauvaise graine poussée dans le terreau du hip hop", et le multi instrumentiste Donnie Hardwidge, "qui a baigné dans sa jeunesse parmi la collection de disques de jazz de son père", font remarquablement la paire. Un peu comme si la verve de De La Soul avait croisé le fer avec la guitare de Bob Dylan et les programmations de... Massive Attack. Sur ce premier album au titre en trompe-l'oeil, on est d'abord frappé par l'étonnante maturité et la fraîcheur enthousiasmante de Day One. Dès l'ouverture, l'étrange Waiting For A Break, premier single au groove alangui découvert l'été dernier dans la torpeur estivale, on assiste à la rencontre de Beck et Arab Strap en vacances chez UNKLE. Sur le simplement tubesque In Your Life, troisième extrait d'un Lp qu'on a aura d'abord appris à connaître à travers ses Ep's, on croit être revenu trente-cinq ans en arrière, à l'époque bénie des Byrds. Le refrain, imparable, n'a pas fini de causer des dégâts sur les ondes radiophoniques, en même temps que de faire pâlir de jalousie des compositeurs envieux. Trois minutes de pur bonheur. Sur le langoureusement accrocheur I'm Doin' Fine, porté par ses cordes à la beauté luxuriante, et le brillamment plaintif Truly Madly Deeply, le producteur Mario Caldato Jr, déjà remarqué du côté des Beastie Boys, des 1000 Clowns et de Beck pour son travail d'orfèvre, se rappelle à notre bon souvenir. Ahurissant. Sur ce disque qui dodeline de la tête, musarde en chemin et ondoie dans le vent, passant du sombre Autumn Rain à l'éclatant Love On The Dole et ses flûtes idoines, on est saisi par l'imagination mélodique, les trouvailles textuelles, l'inventivité des arrangements, le choix du casting (outre Mario Caldato Jr, on retrouve Tim Goldsworthy, premier collaborateur de James Lavelle dans UNKLE), la remarquable homogénéité et la fluidité d'ensemble. Avec ses histoires ordinaires de la vie quotidienne, Phelim Byrne (rien à voir avec David, ex-chanteur des Talking Heads et réalisateur d'un film au titre prémonitoire pour Day One : True Stories) pose le regard grinçant d'un conteur de son époque, à la manière de la tradition narrativede la musique irlandaise qui fit un temps la gloire de son père dans les années 60. "And If I Were A Singer/And Could Sing A Good Key/I'd Sing Of This Love In Melody", conclut-il sur la superbe ballade acoustique Ordinary Man. Day One ? "Mais tout peut changer aujourd'hui/Et le premier jour du reste de ta vie/C'est providentiel", comme chanterait Étienne Daho sur Le Premier Jour. (Magic)
A en juger par les faveurs unanimes réservées à ce premier Day One, la critique française semble bien décidée à poursuivre son histoire d'amour avec les protégés de Massive Attack. Pourtant, fi du reggae d'Horace Andy, du hip hop de Lewis Parker, des BO imaginaires de Craig Armstrong et des ambiances éthérées d'Alpha sur ce nouveau rejeton du label Melankolic. Day One, en effet, a toutes les caractéristiques du trip hop académique -veine pop- que déclaraient fuir les auteurs de Blue Lines. Sans que cela, loin de là, nuisse au résultat final. Day One, en effet, maîtrise sans mal l'ensemble des ingrédients de sa musique. De la pop, le duo a retenu le sens de l'accroche et de la mélodie imparable ("In your Life"), flagrant sur les quatre ou cinq premiers morceaux. Du folk, le goût bienvenu pour le dépouillement et les guitares accoustiques ("Walk now, Talk now"). Du hip hop, la rythmique, le maniement du sample, le chanté-parlé, mais plus encore, cette façon de décortiquer avec sagacité le fait le plus trivial, digne d'un Q-Tip, et qui justifie pleinement le titre de cet Ordinary Man.L'album n'est toutefois pas exempt de tout reproche. L'intérêt pour ses premiers morceaux trop parfaits peut aisément s'émousser à la longue. Mais les cordes symphoniques de "I'm Doing Fine", celles nettement plus dérangées de "Truly Madly Deeply", et l'apaisé "Autumn Rain", qui constituent le tiercé le plus solide de l'album, éviteront vraisemblablement à Ordinary Man d'être classé trop vite dans les étagères reculées d'un range-CD poussiéreux. En guise de conclusion, on excusera donc Massive Attack de ne sortir qu'un album tous les quatre ans s'ils continuent à gérer leur propre label avec autant de bonheur et à offrir d'autres Day One à nos oreilles sensibles.(Popnews)