Avec son titre qui sonne comme un slogan pour des gâteaux d'écoliers "Où veux-tu qu'je r'garde ?" est le premier album de Noir Désir. Le jeune quatuor (Bertrand Cantat est âgé d'à peine 23 ans au moment de l'enregistrement) formé dans une classe de seconde du lycée Saint-Genès à Bordeaux nous propose donc 6 chansons qui contiennent déjà les ingrédients, plus ou moins à maturité, de ce qui fera le "son Noir Dez".
Les oeuvres de jeunesse sont souvent propices aux moments d'embarras et il y a plusieurs détails qui trahissent violemment le caractère "bande de jeune des années 80" comme un Dennis Barthe pas vraiment renversant ou des fluctuations vocales toutes juvéniles dans la voix de Cantat (le contraste avec sa voix actuelle est assez vertigineux !), des textes engagés et signifiant mais parfois un peu bancales ( particulièrement sur "Toujours être ailleurs" ).
L'aspect qui a le plus mal vieilli de l'album reste sa production (qu'on imagine volontiers modeste) avec un son sans relief et duquel aucun instrument ne sors vraiment grandi. La batterie fait "poum tchack", la guitare est noyée dans le fond, la voix est trop claire et la basse manque de punch. Pourtant, derrière un mixage limité par le temps et l'argent, se cache des compositions solides et des mélodies accrocheuses.
Le fait est que ces 6 chansons s'épanouissent beaucoup mieux en live, il suffit d'écouter le coffret "En route pour la joie" ou le double live "Dies Irae" pour s'en convaincre.
Au delà du son mou du genou il y a des chansons aux ambiances envoûtantes (la basse sur "Où veux-tu qu'je r'garde ?") et aux riffs accrocheurs. De ce premier essai ressors surtout 2 chansons.
La première résume à elle seule Noir Désir, il s'agit de la bien nommée "La Rage" avec sa guitare fiévreuse, son rythme effréné (du moins en live, vous l'aurez compris), ses textes percutant et son crescendo final qui donne envie de se cogner la tête au plafond en agitant sa tignasse (pour ceux qui ont encore la chance d'en avoir une) dans tous les sens. Dès cet instant on entend le Noir Désir vindicatif et qui fait du rock "à l'anglaise" parce qu'il n'y a que comme ça qu'il sonne bien.
La seconde chanson marquante est "Pyromane", portée par une ligne de basse lancinante de Frédéric Vidalenc que Serge Teyssot-Gay vient régulièrement bousculer avec des riffs dont il a le secret.
Deux chansons qui, malgré les années qui passent, ne quitteront que rarement les set-list du groupe dans leurs tournées.
Avec un style déjà bien identifiable la bande à Cantat signe là un premier essai tout à fait recommandable. Mieux, le disque arrive à imposer durablement au moins deux excellents morceaux avec "La Rage" et "Pyromane". Faire un premier disque est toujours un exercice périlleux et Noir Désir s'en sort avec les honneurs malgré une production limitée qui empêche les compositions de s'épanouir. Le potentiel est indéniablement là et les prestations live ne feront que le confirmer.
Diamant brut, parfois un peu trop brut, ce disque dessine tous les traits du fulgurant succès que connaîtra la formation dès l'album suivant.