Avec leur album précédent, Siouxsie and the Banshees se sont certes réappropriés une dizaine de morceaux à leur façon théâtrale, ils ont surtout eu tout le loisir d’éprouver leur nouvelle formation et leur nouveau son. Enfin, quand on parle de nouvelle formation, il ne faut pas oublier la tradition du groupe qui change de guitariste après le départ de John Valentine Carruthers à la guitare, remplacé par Jon Klein sorti de sa Batcave. Non, je n’invente pas, il s’agit du célèbre club londonien (puis New Yorkais) où évoluera toute la scène goth en pleine apogée, Skeletal Family, Nick Cave (ça aurait pu être Nick Bat), Dead Can Dance, Sisters of Mercy, Bauhaus, Christian Death et plein d’autres groupes qui, comme tous les vrais groupes gothiques, clament ne pas être des groupes gothiques.
Pour nos Banshees, le goth c’est un peu fini depuis un moment, on l’a dit, leur son a évolué, s’est enrichi de nouveaux éléments, claviers, nappes synthétiques, boîtes à rythme. L’apport de McCarrick a insufflé de nouvelles dimensions aux compositions du groupe, de plus en plus complexes et produites. De même, le chant de Siouxsie ne cesse de déployer de nouvelles nuances.
Through the Looking Glass faisait référence à Lewis Caroll mais si on prend le titre au pied de la lettre, Siouxsie and the Banshees évoquent une fois encore le thème de l’image, du regard, particulièrement par surface interposée. Mirage sur The Scream parlait de télévision, Monitor sur Juju de caméras de surveillance et de voyeurisme (à la fois Big Brother et anticipation de la télé-réalité), Peepshow reste dans le thème. Voir sans être vu, à travers un miroir sans tain.
La confirmation est immédiate avec Peek-A-Boo, titre enfantin pour un morceau qui ne l’est pas. On y parle évidemment de voyeurisme, de prostitution et de relations non consenties sur une orchestration particulièrement entraînante, mélangeant des éléments de jazz cuivrés, des boucles de batterie inversées et bien sûr une réinterprétation de Jeepers Creepers par Louis Armstrong. Le morceau est bondissant d’enthousiasme, embrasse la pop à pleine bouche et cultive le goût pour la dissonance entre fond et forme très présent chez les Banshees dès Hong Kong Garden par exemple. Il y a même de l’accordéon !
The Killing Jar est plus apaisé, avec ses jolies cordes et sa batterie aromatisée au reggae (ce en quoi Budgie la perruche rappelle son époque The Slits) dans son introduction, le morceau se développe en pop colorée remplie de gimmicks astucieux. On y trouve la guitare acide de Klein ainsi que des sons qu’on jurerait issus d’une grenouille guiro, ce qui, venant de Budgie, au hasard, ne serait pas impossible. The Killing Jar porte un titre inquiétant, c’est pourtant un morceau marqué par la fraîcheur et l'énergie.
Avec son introduction nocturne peuplée de criquets qui rappelle assez Cities in Dust, Scarecrow commence de façon menaçante. Siouxsie susurre ses secrets à son confident de paille avant que le groupe ne s’emballe pour porter la chanson vers un niveau plus dramatique et même épique. Sa cavalcade nous ramène aux moments les plus échevelés et les plus réussis de Hyeana. De façon très anachronique, les refrains me rappellent le Year Zero de Ghost, mais ne faites pas attention à mes divagations.
Le travail sur la voix, celui de la production et celui de Siouxsie sur son chant continue d’impressionner avec Carousel où elle tient les rennes de chevaux de bois qu’on imagine grinçants dans un parc d’attraction désaffecté. La mélodie enfantine et tournoyante devient peu à peu une étrange valse démontée.
La surprise arrive avec Burn-Up lancé à toute vitesse sur une voie ferrée qu’on jurerait voir arpenter les collines du far-west. Les violons, les fiddles pour être plus proche du thème western, sont lâchés, ainsi qu’un bouillonnant harmonica. C’est très atypique pour les Banshees de venir sur ce terrain où ils n’ont jamais été aussi proches de Johnny Cash, façon Orange Blossom Special, et où les whoo-woh de Siouxsie évoquent clairement le sifflet de la locomotive.
On revient dans une zone plus familière avec le superbe Ornaments of Gold, morceau atmosphérique et mystérieux porté par la section rythmique qui mêle batterie et boîte à rythme. Le chant de Siouxsie y est des plus beaux qui aient été dans ce joyau justement très ornementé, particulièrement lors des refrains qui raflent aisément la mise. La construction de l’atmosphère est exemplaire sur ce morceau également.
Turn to Stone est un peu dans la même veine, plus sombre, avec des accents hispanisants et un chant hypnotisant. Je parlais, au sujet de la reprise de Trust in Me sur l’album précédent, du chant reptilien de Siouxsie qui s'accordait parfaitement à son sujet. C’est encore une fois le cas avec sa façon caractéristique de se serpenter en trémolos et en variations d’intensité. Les cordes synthétiques sont un peu datées, mais c’est bien le seul léger reproche qu’on peut faire au titre.
Rawhead and Bloody Bones retourne dans le monde de l’enfance, celui des terreurs nocturnes ! Le morceau est assez court, caractérisé par un chant discontinu et mécanique qui suit les étranges claviers. C’est assez inquiétant et, s’il fallait en douter, les pleurs d’enfants à la fin nous le confirment.
Un autre morceau de bravoure arrive ensuite, sous la forme de Last Beat of My Heart. Merveille d’atmosphère, menée tambour battant, c’est bien sûr le cas de le dire par les toms effleurés de Budgie et le retour de l’accordéon de McCarrick. Le chant de Siouxsie y est à son meilleur, parfois étouffé, parfois tout proche. C’est un morceau d’une tristesse profonde et magnifique, là où Siouxsie montrait de la colère ou de l'espièglerie, on l’entend à présent vulnérable, débarrassée de sa théâtralité (qui est pourtant toujours bienvenue), à fleur de peau et donc, touchante. Les sincères chansons d’amour ne sont pas légion chez les Banshees, il faut en profiter.
Rhapsody n’est pas en reste quand au théâtre. Son titre laisse imaginer qu’on aura droit à des envolées lyriques et notre imagination ne nous a pas trompés. Alors que Budgie, Severin et Klein s’emballent, la tornade emporte Siouxsie vers des hauteurs où on ne l’avait jamais entendue jusqu’alors. C’est un blizzard sonore parfaitement mené, conclusion magistrale à un album aventureux.
Sur les éditions récentes, El Dìa de Los Muertos complète l’album et il mérite largement le détour. Complètement fou, avec des chœurs de squelettes à moustaches, on se croirait presque dans un mexique fantasmé par Oingo Boingo. Entendre Siouxsie parler espagnol avec son accent n’a de toute façon pas de prix.
Peepshow est bien plus qu’une nouvelle incursion pop de Siouxsie and the Banshees. Le groupe y développe ses expériences sans se contraindre à un style dans lequel ils n’ont plus grand chose à prouver à qui que ce soit. Multipliant les facettes de son talent, le groupe s’aventure sur des terrains où on ne les aurait pas imaginés. A la fois expérimental, la porosité avec The Creatures se fait sentir, et très accessible, Peepshow aligne une collection de petits joyaux un peu méconnus, cachés par ses deux figures de proues que sont Peek-A-Boo et The Killing Jar. C’est une belle réussite, qui ferme le volet des années 80 pour Siouxsie and the Banshees, concluant une décennie d’existence passionnante.
C'est par ailleurs, et à ma modeste échelle, la réécoute de cet album qui m'a convaincu de me mettre à écrire sur ce groupe.