Un de mes disques préféré et un de ceux que j'écoute le moins. Peut être même le seul que je possède que je n'ai jamais réussi à écouter en entier. Mais je l'aime. Vraiment, sincèrement, profondément. Tout simplement parce qu’il existe. Tout le monde devrait remercier le Créateur, ou le grand Timonier ou qui vous voulez. Ou Frank Zappa si vous êtes à ce point bassement athée, pour avoir permit que ce disque existe. Comme pour le « Contact High » des Godz ou le EP des mythiques Blousons Noirs. Comme les films d'Ed Wood, de Jean Rollin ou de Jean-Louis Van Belle. Comme Harmonica Frank Floyd, Hasil Adkins, Legendary Stardust Cowboy, King Uszniewicz, Korla Pandit... Ou bien sûr les fameux singles de Rémy Tarrier et de François Juno. Que tous ces artistes aient pu enregistrer, que tous ces disques aient étés édités, commercialisés, c'est un gage précieux de la bonté humaine.
Il existe sans doute un point où l'absence de talent est si extrême qu'elle confine au génie le plus pur et le plus bouleversant. C'est ce qu'un groupe comme les Residents a, en tout cas à mon sens, cherché à prouver tout au long de sa carrière. Ce point les Shaggs en sont representatives à tous les niveaux et en ce sens leur album est aussi important que tous ceux des Beatles. Ils appartiennent à cette sphère étrange de l'art où le naïf le plus brut rejoint l'avant-gardisme le plus pointu. Cette zone où les frontières entre le bon et le mauvais deviennent à ce point brouillées qu'elles apparaissent surfaites et terriblement futiles. C'est cette zone que Beefheart a voulu atteindre dans la conception draconienne de son « Trout Mask Replica », c'est cette zone dans laquelle Albert Ayler a toujours accordé son saxo, celle dont rêvait sans doute Edgar Varèse la nuit, celle qui a dû illuminé Masonna un soir de beuverie. Celle, enfin, où trône en maître incontesté l'immense Wesley Willis.

Les Shaggs, soit trois sœurs pas bien belles, venues d'un trou paumé des Etats-Unis, forcées par leur père d'enregistrer un disque au plus vite, alors même qu'elles savaient à peine tenir un instrument à peu près correctement, espéraient sonner comme les Mamas & Papas et les Carpenters. Grand bien nous en fasse, elles n'y parviendront a aucun moment, en aucune façon. Le résultat est atroce, pour n'importe quelle oreille normalement constituée. La batteuse n'est jamais en mesure. La guitare ne sonne même plus désaccordée à ce niveau, mais plutôt accordée sur une tonalité que jamais personne n'avait entendu auparavant. Elle sort des notes elles aussi inouïes, au sens littéral. Un son qu'on entendra jamais ailleurs, même en écumant tout le krautrock ou toute la no wave. Les paroles semblent totalement non-sensiques et se rapprochent plus des poèmes dada de Hugo Ball que de n'importe quoi d'autre. Pis, les trois « musiciennes » semblent incapables de jouer en même temps. On en vient même à se demander sans cesse comment pouvaient bien sonner ces morceaux dans leurs têtes quand elles les composèrent tant il est bien difficile d'imaginer ce que ça aurait donné si ils avaient étés joués convenablement. Mais ce disque est tout bonnement incroyable ! Aussi touchant d'innocence adolescente que la voix de Linda Scott chantant « I've Told Every Little Star ». C'est un dessin d'enfant. C'est l'une des plus belles ode au rock & roll en ce sens qu'il contient la musique la plus mal foutue mais exécuté avec la plus noble sincérité jamais gravée sur disque. Il incarne l'amateurisme de long en large, et surtout de travers. Par leur incompétence si radicale les Shaggs envoient Orphée se faire voir dans des espaces insoupçonnés jusque là. Tant d'artistes se sont cassés les dents en essayant de faire ça... Les Shaggs y parviennent si spontanément grâce à leur insouciance... C'est pour cela que ce disque est si essentiel dans l'Histoire de la musique.
MeRz
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le 21 févr. 2013

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Me Rz

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