Placebo
6.8
Placebo

Album de Placebo (1996)

Effrontément sexuel et sexy, le rock à haute tension de Placebo est déjà promis à tous les honneurs. Ici aussi. Placebo [plasebo] n. m. ­ "Substance neutre que l'on substitue à un médicament pour contrôler ou susciter les effets psychologiques accompagnant la médication." Placebo, capable de susciter des effets psychologiques ? On ne ressort forcément pas indemnes de ces chansons qui offrent au rock gothique son premier album flamboyant. On ressort fatalement troublés par ce chant étranglé comme chez les meilleurs Undertones, par cette voix plaintive et neutre qui aligne les mots crus et insolents comme d'autres les dominos. Saloperies de chansons crâneuses, qui s'installent sans être invitées sur le canapé de la mémoire et mettent les pieds sur la table (Teenage angst, 36 degrees). Saloperies de riffs vénérables, derrière lesquels le punk-rock court depuis les Buzzcocks ­ les Américains en godillots, les Anglais en chaussons de ballerine ­, et que Placebo aligne à toutes les humeurs : coléreux, colérique, querelleur. Placebo, substance neutre ? Et puis quoi encore ? Rarement entendu un tel tourbillon de guitares en Angleterre ­ trop prude pour offrir au rock une telle ahurissante dynamique. Pour retrouver une telle capacité d'accélération ­ sans traces de pneu, s'il vous plaît ­, il faudra remonter jusqu'à Nirvana de Nevermind, et donc aux Pixies de Doolittle. Anglais, Placebo ne l'est de toute façon que d'adoption, pur hasard géographique. Un Américain, le dangereusement charismatique Brian Molko, un Suisse et un Suédois, échoués à Londres, miroir aux alouettes. Substance neutre ? On n'admire pas le goût des risques et du biscornu de groupes comme Deus ou Joy Division sans en retirer un sens aigu des montages dangereux, du sabotage rythmique. Car si on pense souvent ici à U2, Placebo évoquerait un U2 qui refuserait le confort de l'intelligence, la sagesse pépère des mots universels pour avouer des choses aussi troublantes que "Deux trous dans un sac en papier/Le meilleur coup que j'aie jamais tiré." Un U2 qui, au lieu de brider sa guitare dans mille effets, lui laisserait brûler les câbles, foutre des gnons au chant, le latter avant de le cajoler. Un U2 plus frustré que feutré, plus colérique que gaélique. Un U2 aux yeux exorbités, délaissant les galeries d'art pour explorer les faces B de la sexualité et de la masculinité, capable sur le très justement nommé Teenage angst d'avouer "Depuis que je suis gamin/Je n'ai fait que me détériorer." Même U2 doit être sacrément jaloux du futur de Placebo. (Inrocks)

bisca
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le 12 avr. 2022

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