Si nous sommes bien ici en présence du concert donné à l'Olympia de Paris le 7 juin 1982 (le concert avait été enregistré pour la radio et le bootleg, avec son son impeccable, est très répandu), alors voici une plongée absolument magistrale dans les profondeurs de l'effrayante musique de The Cure cuvée 1982.


L'album Pornography venait à peine d'être lancé en pleine face de ses auditeurs audacieux comme une gifle extrêmement cold et violente, le sommet d'une sorte de trilogie idéale de la cold-wave, débutée avec Seventeen Seconds en 1980, approfondie avec Faith en 1981, et donc terminée en 1982 avec cet album. La musique de Robert Smith, Simon Gallup et Lol Tolhurst, le trio-noyau épuré du Cure de l'époque, est d'une violence inouïe.

On a trop souvent peine à s'imaginer que d'autres styles de musique que le métal ou le punk puissent être extrêmement violentes, en voici la preuve absolue.

One Hundred Years ouvre l'album en nous hurlant que peu importe si nous crevons tous. Le disque dans son entier ne lâchera jamais le ton donné par cette intro, la musique est abrasive, quelque fois à la limite de la dissonance, les instruments sont noyés dans des reverbs / delays de chambres froides et pourtant d'une agressivité rare, soutenus par une batterie au son gigantesque et martial. Et parmi ces nappes glaciales le chant de Robert Smith nous parvient comme un cri lointain, entre le hurlement de douleur et l'essoufflement du vaincu. Il donnera tout dans cet album, et terminera avec le titre éponyme Pornography en une explosion bruitiste et suicidaire.

Il n'y a aucune respiration dans cette musique, elle est étouffante, méchante, brutale, terrifiante, sans aucun compromis. Radicale. En soi elle est un pur chef d'oeuvre, autant dans la carrière de The Cure (qui faillit se terminer là), que pour la décennie des 80's, et pour l'Histoire entière du rock. Robert Smith montre toute la laideur de sa dépression de l'époque, d'une manière, oui, pornographique - et c'est bien pour cette raison que l'album se titre ainsi.

Nous autres auditeurs raffolons de ces albums malades, car ce sont en général ceux qui nous offrent la musique la plus marquante.

En ce printemps 1982 Robert Smith sort son chef d'oeuvre, certes, mais maintenant il lui faut partir en tournée... C'est à dire quasiment tous les soirs revivre les sentiments extrêmes des chansons de Pornography. Tous les soirs il devra se remettre à nu et hurler son anxiété, tous les soirs interpréter ces chansons violentes, tous les soirs se lacérer les poignets pour faire vivre sa musique. Car Robert Smith est beaucoup de choses, mais personne ne peut nier qu'il est probablement l'un des musiciens les plus intègres et généreux. Il ne ment pas sur scène.


Le 7 juin 1982 The Cure fait donc une halte à Paris. Ce bootleg, qu'il soit titré "M" ou "Olympia 82", est historique à plus d'un titre. La tournée, à juste titre nommée Explicit Tour, ne durera pas longtemps (se terminant après le concert de Strasbourg en bagarre entre Smith et Gallup). La violence de la musique de The Cure en 1982 y est gravée dans toute sa splendeur. Robert Smith le dira lui-même bien plus tard: c'était justement trop violent pour lui d'interpréter cet album tous les soirs sur scène. Il a mis brutalement fin à la tournée pour éviter de mettre brutalement fin à sa propre vie.

La douleur, la brutalité, la froideur, la pornographie de la dépression, tout est dans ce concert extrême. Robert Smith et son groupe se donnent entièrement dans cette musique, quitte à s'y perdre. Ce bootleg, écouté à fort volume, au casque, yeux fermés, en s'imaginant être à l'Olympia de Paris ce soir de 1982, est une expérience très étrange, presque terrifiante. Mais pour tout fan de Cure qui se respecte c'est un must.


The Cure en 1982 était trop extrême. Pornography est trop extrême. C'est l'un de ces albums qu'il est difficile d'écouter d'un bout à l'autre sans arrêt, trop étouffant. Mais il reste un chef d'oeuvre absolu, et ce bootleg en est un témoignage d'une valeur... extrême.

TheAbsurdPoetCat
10

Créée

le 22 avr. 2024

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