Une voix pure, haut perchée, des mélodies ensorceleuses, de délicates guitares carillonnantes, l'oeuvre d'un petit groupe soudé... Tels étaient les Shins comme on les aimait et se les imaginait sur leurs trois premiers albums : une formation pop de rêve, classique mais inventive, reprenant le flambeau des Kinks, des Smiths ou des Nits dans l'Amérique du troisième millénaire. Cinq ans après Wincing the night away, on découvre la vérité : les Shins n'étaient le fait que d'un seul homme, James Mercer, auteur, compositeur, chanteur, arrangeur et despote (éclairé) du groupe. Les autres n'étaient que des vieux amis qui... l'encombraient. Si le peu charismatique mais doué Mercer, 41 ans, s'est marié et a eu deux enfants entre-temps, c'est une autre alliance qui a surtout pesé sur la conception de Port of Morrow, véritable album solo de James Mercer. Sa collaboration à égalité avec le producteur Danger Mouse sur le projet Broken Bells, au résultat pour le moins inégal. Toujours est-il que, mis en confiance par l'expérience, Mercer a remercié ses anciens copains pour s'entourer de musiciens d'appoint et d'un coproducteur poids lourd, Greg Kurstin, au CV bien garni (Chili Peppers, Lily Allen, Britney Spears...).Et ça s'entend. Port of Morrow est un album au son énorme, rutilant, qui a remplacé sa précieuse fragilité par une impressionnante assurance. A écouter Simple Song, premier single impeccable, aussi limpide que son titre le suggère, mais doté d'une production en Technicolor, on se dit qu'on n'a rien perdu au change. No way down, idem. Ailleurs, on est partagé. Toujours ébloui par la facilité et l'audace de Mercer, l'instinct pop incarné, et un déroutant sentiment de maturité, de professionnalisme poussé à l'extrême. Un sentiment ressenti autrefois face aux disques de Crowded House ou de XTC. Port of Morrow est un album léché, parfois lumineux, que l'on savoure tout en regrettant le temps de l'innocence. Un peu comme la vie, dans le meilleur des cas, à 40 ans. (T)