Pour bien écouter Providence, quelques explications s'imposent. Ouais, quand on commence comme ça c'est pas toujours bien engagé, mais finalement quand je parle de mes derniers coups de coeur j'ai toujours envie de les commencer comme ça.
Providence c'est un disque de retour pour Nathan Fake, qui n'avait rien fait depuis 5 ans. Cinq années d'aridité créatrice (c'est lui qui en parle). C'est aussi un disque qui sonne comme un exercice imposé: la légende raconte que le disque a été composé sur un Korg Prophecy, objet de fantasmes qui s'est révélé être un tueur de fun à l'utilisation. Troisième élément contextuel: Nathan Fake est un de ces producteurs électroniques qui semble voir plus loin que la musique; loin d'être DJ il est davantage celui qui offre une expérience live à ses auditeurs, l'intermédiaire entre le public et la transcendance, une démarche et une évolution que l'on retrouve chez James Holden.
Autant dire que Providence mérite une attention un peu spéciale. Le contrat à remplir n'est pas forcément d'offrir une musique dansante ou agréable, ou un album structuré, équilibré. La problématique devient "Nathan Fake offre-t'il une proposition intéressante et pertinente à la musique électronique de 2017?".
L'album démarre sur Feelings, 1m41s de synthèse digitale, d'arpégiateur puissant, de filtres cristallins, de glitchs discrets. Une introduction qui sonne déjà comme un paradoxe ou un questionnement: les sonorités renvoient clairement au domaine de la machine et de la synthèse, le morceau s'appelle feelings1, c'est au cerveau qu'il parle, et le caractère répétitif de la mélodie laisse peu de place au doute, c'est vers l'élévation qu'il guide. Sans détailler l'intégralité de la tracklist, l'album est du même niveau. Nathan Fake semble s'affranchir volontiers du rythme et du beat pour jouer sur les registres de la progression, avec des synthèses simples et acides et des structures qui bouclent sans complications (pas de multiplication des pistes à l'infini) mais fortes en texture et en richesse. Il y a aussi quelques voix, des compositions courtes, d'autres longues, et souvent comme un arrière-goût de cervelle qui frit sous les assauts répétés de sons à la charge hypnotique élevée.
Le risque de ce genre d'exercices est réel. En poussant toujours plus loin dans la recherche on peut perdre l'auditeur. Ou le laisser passer totalement à côté. Un peu comme Philippe K. Dick et ses dernières œuvres, à réserver aux exégètes. Electro-pouêt si t'as pas ton Bac+5 en musicologie. Et là, chacun ses réponses. Mais ce disque est un beau retour pour un producteur qu'on retrouve sur des tonalités live et techno en 2018 avec son EP Sunder