Après Souvlaki, l'album qui allait devenir un des piliers du shoegaze, Slowdive enchaîne avec leur ultime album en 1995, peut-être bientôt un autre au vu des dires du groupe, tout juste reformé pour une tournée mondiale grandiose. Je confirme j'y étais. Lors de deux concerts inoubliables. Mais là n'est pas le sujet de cette critique, puisque l'attention est aujourd'hui concentrée sur Pygmalion.
Tout l'album pourrait être résumé avec le simple morceau d'ouverture, Rutti. D'une douceur infinie, il prépare l'auditeur à un voyage sans comparaison possible. Après un début tout en douceur sur les jetées de notes de la guitare de Neil Hastead, le morceau va s'allonger pour 10 minutes de bonheur. Après les douces berceuses émanant de la douce voix plaintive du guitariste, tous les autres musiciens vont s'aligner jusqu'à l'auditeur dans une ronflante et langoureuse transe moelleuse, avec cet éternel bercement de la basse. Un morceau comme nul autre pareil, au croisement du shoegaze, du post-rock et de l'ambient, une véritable Odyssée.
Toutefois, l'album est loin d'être terminé. et la suite n'est pas en reste. Tous les morceaux sont parfaits, cohérents, indispensables. Une incroyable alchimie rêveuse transcende tout le disque, à tel point qu'il provoque en moi une véritable illumination à chaque écoute, comme le plus beau voyage au pays des songes et des soupirs.
Crazy For You est une vibrante déclaration d'amour de Neil Hastead où il crie avec une force poignante toute la force de son amour à une personne. Il est un des morceaux qui ressemblent le plus à ceux de Souvlaki car il a cette espèce de force adolescente maladive qui le pousse à un paroxysme constant sur toute la longueur de la chanson. Tous les instruments s'alignent dans une cavalerie qui ne cesse que pour mieux repartir. Pour compenser cette vigueur, la suite de l'album plonge l'auditeur dans un océan de doute avec Miranda où Rachel Goswell prend la parole pour la première fois. Sa voix hypnotique, ses plaintes répétées et les bruits cosmiques électriques qui traversent le son dans tous les sens contrebalance parfaitement le précédent morceau et finit d'enfermer l'auditeur dans sa bulle de songes.
Pourtant, Trellisaze la brise tout de suite en tourmentant le voyage. Les murmures et échos se multiplient sur des sonorités cosmiques, un faible battement et quelques notes de guitare. Doucement, encore, on chute dans un abysse, assoupi. Cello nous accompagne alors avec gravité, sous les atermoiements infinis des deux chanteurs. Mais dans ce monde, rien n'a de sens et on se retrouve soudain devant les portes fermées du paradis avec J's Heaven. On baigne, meurtri, dans des nuages gris que l'incroyable lumière qui émane de la voix de Neil Hastead ne parvient pas à éclairer.
Rachel vient ensuite nous prendre dans ses bras avec Visions of La, où elle nous réconforte, nous berce avec amour. Alors d'incroyables rayons de lumière vont venir percer la sombre masse nuageuse. Un doux vent va commencer à la disperser alors que le groupe reprend avec Blue Skied an' Clear. Les forces nous reviennent toutes une par une et alors le rythme accélère. Et là, Rachel Goswell comme une chanteuse d'opéra illumine tous les ténèbres. Tout est là, dans ces quelques paroles prononcées par Neil Hastead: "You say life and it sounds so good/You say love and it sounds so sweet". Les mots les plus simples, les mots les plus sincères, la Lumière.
À tel point qu'il fait de l'ombre au morceau suivant. La transe est arrivée à son plus grand paroxysme, et All of Us fait donc un peu figure de gueule de bois. Sa discrétion et son intimisme nous accompagne alors doucement pour sortir de l'album, et probablement ne plus rien faire pendant une heure. Pygmalion nous abandonne comme un orphelin et aucune musique ne peut passer après cela. Il ne reste plus que le silence dans lequel on croit encore déceler la magnificence du groupe. Puis, souvent vient le sommeil. Ou une autre écoute de l'album, car cette transe là n'a pas de limite.