Radar
6.9
Radar

Album de Kelly de Martino (2005)

Les yeux magnétiques et follement intrigante, l'Américaine Kelly De Martino est marquée par une ambivalence étrange : un être très yin et très yang, traversé en plein cœur par deux courants puissants et antagonistes. Actrice, elle fut comblée à New York où, après quelques apparitions alimentaires à Hollywood, elle a tourné quelques films indépendants avec ceux qu'elle admire, Vincent Gallo notamment. Revenue en Californie, elle s'invente styliste et se retrouve, presque par miracle, portée aux nues par la presse locale. Pendant tout ce temps, pianiste classique de formation, elle apprend son métier de musicienne chez Marjorie Fair ou avec J. C. Hopkins. Venue à Paris un peu par hasard, elle se retrouve en trois semaines, guidée par sonPygmalionDominique Depret (Holden), à enregistrer un premier album solo. Peut-on alors rêver mieux ? Oui : de ne pas, malgré tout, se retrouver dans sa peau. Car autour d'elle, et surtout en elle, ce n'est que terre ravagée, brûlée par la perte, asséchée par l'absence, la douleur des cœurs brisés à répétition. Musicalement, Kelly était prédestinée au vide, à l'épure. Le très éthéré et magnifique Radar est une délicate attention destinée à ces âmes souffrant du trop. Suspendues au-dessus du vide dans une apesanteur obsédante, entre pureté folk et langueurs jazz, les instrumentations délicates du très solitaire et désolé Bumblebees, les caresses tristes de New Orleans ou de Can't Come See Me, la comptine étrange In a Maze se meuvent ainsi dans une lenteur grandiose et une précieuse précaution, sans aucun maquillage inutile.Et dans ces ténèbres se dresse une voix, lumineuse et envoûtante. Son organe est ce qui est arrivé de plus troublant depuis, disons, Hope Sandoval de Mazzy Star ou Jennifer Charles d'Elysian Fields, deux références vocales et musicales évidentes, mais jamais volées, de Radar. Soit un voile traînant nonchalamment ses douceurs dans une mélancolie abyssale, une fine bruine vénéneuse de sensualité. Et quand, de ce souffle médusant, elle supplie "please don't love me" sur la magnifique et vaporeuse ouverture du même nom, on a bien du mal à obéir. (Inrocks)


Il faut le dire, Kelly de Martino n'est pas du genre à siroter un Martini dans un cocktail mondain sponsorisé par Ardisson, bruyant et vain. En écoutant le sublime "Radar", on imagine plutôt la belle et triste Américaine assise à boire sa sixième téquila à la terrasse d'un café italien en feuilletant "Au-dessous du volcan".Pourtant, les choses commencent moyennement avec "Please Don't Call Me", notamment quand on sait qu'un membre de Holden a produit "Radar". Cette chanson reprend en effet trop fidèlement les textures et les ambiances tournoyantes de "Pedrolira", dernier album d'Holden : batterie feutrée, instruments à vents qui tanguent et voix qui câline l'oreille. C'est très beau mais, merci, ça n'égale pas l'inégalable "Pedrolira". Puis "Bamblebees" débute sur un clavier d'église qui picore dans le sac à mauvaises graines de Nick Cave et la façon qu'a Kelly de Martino de prononcer les "B", et il y en a pas mal dans "Bamblebees", est un vrai délice.Puis progressivement, les autres lettres de l'alphabet dans sa bouche deviennent elles-aussi délicieuses à entendre. Sur "Saddest song", sa voix simple, cristalline et néanmoins cabossée se balade seule dans le désert, tout juste aidée par deux guitares échappées de l'écurie Calexico. Une chanson triste (que ne me chantait pas ma maman) parmi dix chansons tristes qui laissent passer la lumière et souffler le vent. Dix chansons tristes qui respirent la vie. Au final, Kelly de Martino s'est appropriée seulement quelques lambeaux de l'étalon "Pedrolira", sa chaleur qui engourdit les sens, ses silences aussi importants que les pincements de guitare et sa voix qui vous ensorcelle. Kelly de Martino réussit même à rendre gracieux le "Open the Door" de ces diplodocus fossilisés de Magnapop.Quelqu'un devrait présenter Mark Eitzel à Kelly de Martino. Ce n'est pas difficile de les imaginer tous les deux accoudés à un bar, en train de discuter toute la nuit de la note de piano qui fait pleurer et d'histoires amoureuses où l'on finit seul dans le désert. Eventuellement aussi, de moustaches et de chapeaux. Quelle idée !(Popnews)
bisca
7
Écrit par

Créée

le 11 mai 2022

Modifiée

le 10 avr. 2022

bisca

Écrit par

Du même critique

Le Moujik et sa femme
bisca
7

Critique de Le Moujik et sa femme par bisca

Avec le temps, on a fini par préférer ses interviews à ses albums, ses albums à ses concerts et ses concerts à ses albums live. Et on ne croit plus, non plus, tout ce qu'il débite. On a pris sa...

le 5 avr. 2022

3 j'aime

Santa Monica ’72 (Live)
bisca
7

Critique de Santa Monica ’72 (Live) par bisca

Ça commence avec la voix du type de KMET, la radio de Santa Monica qui enregistre et diffuse ce concert de Bowie, le 20 octobre 1972. « Allez hop on va rejoindre David Bowie qui commence son concert...

le 27 févr. 2022

3 j'aime

Taormina
bisca
7

Critique de Taormina par bisca

Taormina, perle de la Méditerranée, disent les guides touristiques à propos de cette belle endormie sicilienne, bordée par le volcan Etna. Taormina, perle noire dans la discographie de Murat, dira la...

le 5 avr. 2022

2 j'aime