Originaire de la région de Courtrai, Balthazar a livré un premier album prometteur, Applause, en 2010. Son second album Rats poursuit la success story de ces jeunes gens issus d’amitiés lycéennes qui ont d’abord joué dans la rue avant de s’inscrire au Conservatoire de Gand : ils s’imposent comme le meilleur groupe d’indie rock belge du moment. La décennie de Girls in Hawaii, dont ils assurent la première partie en tournée, est révolue.
Le groupe est dominé par un tandem formé par Maarten Devoldere alias Warhaus et Jinte Deprez alias J. Bernardt. Chanteurs, guitaristes et claviéristes doués, tous deux lanceront leurs propres projets solos par la suite. Jusque-là, c’est Warhaus qui prend le lead en assurant le chant principal. Sa voix grave caractéristique, moins sensuelle que celle de J. Bernardt mais plus typée et profonde, se situe à mi-chemin entre Johnny Cash et Alex Turner. Il serait certainement excellent pour donner des relaxations.
Les Wallons ficellent des chansons aux mélodies imparables et aux ambiances claires-obscures, où les cordes sont frottées avec une émotion chuintante et frémissante. L’ensemble tend plutôt vers la noirceur et ne s’écoute donc pas d’une oreille distraite, mais le groupe nous réserve également des moments reposants comme « Sinking Ship », voire joyeux comme « Listen Up » qui fait un peu penser à la pop de Jack Johnson.
Ils ont le don de suspendre le temps au bord de leurs lèvres et de leurs instruments. « Joker’s Son » amène un sentiment d’évidence quand Warhaus se met à chanter le refrain et « Lion’s Mouth » maintient tout du long une tension forte qui se résoudra dans quelques notes de piano. Ces deux morceaux ont quelque chose de désillusionné mais donnent paradoxalement la certitude que la lumière est saisissable. Ce sont des perles de l’indie rock dans sa tendance ballade, dignes des meilleures compositions d’Eels ou de Wilco.
Dès les premières mesures de « The Oldest of Sisters », on comprend que Balthazar ménage ses ambiances et prend grand soin du détail et de l’esthétisme. Sur cette ouverture mystérieuse empreinte d’une certaine gravité, on est vite happé par les lignes de chant qui semblent se désolidariser de la section rythmique mais finiront par rejoindre les chœurs dans une ambiance a cappella, excepté la basse pointilliste de Simon Casier.
A l’instar de Yo La Tengo, Balthazar réussit à nous donner le goût du son à l’état brut. L’ambiance tranquille de « The Man Who Owns the Place » et la succession des instruments mis au premier plan, voix comprise, offrent des repères fluctuants dans cette ambiance sinistre. Quand un nouveau son survient, c’est toujours à point nommé, comme après le dernier refrain de l’intriguant « Do Not Claim Them Anymore » où des sonorités chatoyantes de synthé resplendissent et sont soutenues à merveille par la guitare et les « ouuuuh ».
La violoniste Patricia Vanneste, cofondatrice du groupe avec Warhaus et qui le quittera par la suite, compte pour beaucoup dans l’identité sonore de Rats. Sa partition finale sur « Any Suggestion » est la marque d’une grande classe. Ce morceau suit une logique progressive en commençant dans le flou pour finir dans la détermination la plus farouche. Après ce final somptueux, on s’attend à ce que l’album soit terminé, mais le groupe nous réserve une surprise en poursuivant avec le languissant « Sides ».
Balthazar parvient donc, grâce à cet album d’une noirceur exquise, à devenir l’un des honorables rois mages du rock indépendant en poussant la recherche sonore et le perfectionnisme mélodique beaucoup plus loin que la plupart de ses contemporains.