Comme les premiers albums de Burzum, que Varg Vikernes expliquait avoir été conçus sur le modèle d'un « sortilège » devant capter l'esprit de l'auditeur, les albums de Branikald sont construits suivant un schéma bien défini, traçant un chemin dans les espaces insondables de l'intériorité. C'est particulièrement vrai pour celui-ci, Rdyandalir, le deuxième album de l'autre groupe de Kaldrad (un peu plus connu en tant que chanteur de Forest) sorti en 1996.
Dès les premières notes, on sent cette « accroche », cette touche si particulière et propre au Black Metal qui sonne comme une invitation à l'intérieur de soi, une saisie dans la contemplation mélancolique et ténébreuse. Les quatre morceaux de Rdyandalir sont autant d'étapes, de durées à peu près égales, dans ce qui semble être, d'après les paroles (écrites en russe), un voyage de l'âme vers une conscience plus haute.
Le caractère très répétitif et minimaliste de la musique donne la sensation d'une progression en spirale, tournant toujours plus près vers un but toujours plus précis, mais sans jamais l'atteindre vraiment. Avec un rythme évoquant une marche morne dans un paysage monotone, l'album s'ouvre sur un air de menace, comme un amoncellement de nuées annonçant l'orage dans l'immensité du ciel teinté de noirceur, écrasant de son poids la vaste plaine où rien ne s'accroche à l'horizon. Mais déjà, quelques digressions s'aventurent sur des airs moins lugubres, plus doux à l'oreille et poignants de mélancolie, temps de répit dans le marasme. Un marasme poisseux, comme ce son de guitare sale et épais. Au deuxième morceau, il s'allège sensiblement, ainsi que le charleston joué désormais fermé, tandis que grosse caisse et caisse claire alternent inlassablement sur ce même rythme monotone et régulier dans la plus pure tradition burzumienne. Les nuages noirs de menace étant définitivement éloignés, il ne reste que la mélancolie qui sonde les âges oubliés dans le repli du temps. La voix, hésitant momentanément avec ses cris perçants, s'aventure en déclamations lyriques.
L'album poursuit ainsi, au fil des quatre morceaux, une perte progressive en densité, comme si le superflu était peu à peu abandonné pour ne conserver que l'essentiel, comme l'artisan dégageant dans la roche impure, au terme d'un patient et minutieux labeur, le cœur d'un joyau. Ou bien comme l'esprit se détachant des lourdeurs de la matière pour s'élever dans l'éther, loin au-delà. Ainsi la saturation disparaît-elle tout à fait, ne restant qu'une ligne mélodique répétée en boucle, accompagnée par un blast beat lancinant. Et le son lui-même, finalement, semble se résorber dans une reverb poussée à fond, accentuant les chevauchements de boucles hypnotiques et circulaires jouées uniquement par deux ou trois guitares, sans batterie, où s'ajoute un instant une voix claire et déclamatoire.
Cette construction équilibrée, traçant un chemin sinueux dans les profondeurs de l'âme, confère à cet album une certaine originalité, tout en incarnant pleinement ce Black Metal raw et hypnotique si propice à la méditation. Une pépite oubliée de cette première scène russe au demeurant restée peu connue.