Who the fuck are Tigercub? Rien d'anormal sur la feuille de match, un power trio anglais de "rock alternatif", soit le terme le plus galvaudé du monde depuis que 30 Seconds to Mars a supplanté les Pixies et Sonic Youth. Un énième avatar de la sur-prolifique scène alternative de Brighton, qui nous a apporté entre autres Royal Blood et Blood Red Shoes évidemment, mais aussi Atlas Wynd, Big Society, Morning Smoke, Strange Cages ou encore The Wytches. Rien que ça. Boring by the sea vous dites ?
Pas évident de se faire une place au soleil parmi ceux-là. Pourtant dès ses premières armes Tigercub frappe fort, assénant courant 2014 un Blue Blood suintant le grunge, un premier single dégoulinant de chorus saturé avec à la baguette Tom Dalgety et Matt Bigland... On a vu pire comme références. Il est rapidement suivi de Centrefold, un hymne dansant autrement plus pop transfiguré en une frénétique houle stoner sitôt le trio sur scène. Mais du propre aveu de son gigantesque (je pèse mes mots) frontman Jamie, le groupe cherche toujours l'étincelle, l'impulsion qui donnera au groupe l'élan qui lui manque encore. Las des considérations commerciales de managers attendant de la musique qu'elle aille plus vite qu'elle même, Tigercub s'émancipe et pousse les portes du studio pour cracher, le temps d'une semaine, toute la frustration créatrice accumulée depuis un an. Meet: Repressed Semantics.
Ceux qui les ont suivis avec attention depuis la sortie de Blue Blood le savent : c'est là l'identité même du groupe qui transpire, l'instantané on ne peut plus fidèle de la douce rage que Tigercub diffuse sur scène. Tout ce que le trio sait faire de mieux est concentré ici, pressé et compressé dans un cinq titres presque exhaustif tant il est dense. L'opener Pictures Of You est déjà un aboutissement, si loin des premiers titres du groupe. Jamie n'est pas qu'un furieux binaire de la Jaguar, c'est un apprenti poète doué à la sémantique incisive : "Could we waste it all to make it stop? / The silence in your heart, the dawn before the dark / To savage all we've got, singing the same old song, the same one that you love". Aux couplets mélodiques succède un refrain dépourvu de texte, comme un cri silencieux, où une guitare plaintive assène inlassablement sa rancœur. Le clair-obscur se poursuit sur Antiseptic, forcément une référence avec ses accents desert rock évoquant des influences Queens of the Stone Age déjà entrevues sur Destroy ou Trendsetter. On a là le sentiment si jouissif d'assister à la naissance même de Tigercub, cette créature hybride entre poésie et violence prenant enfin conscience d'elle-même. Antiseptic est un voyage stoner entre surprise et confirmation, comme si on n'attendait qu'elle sans forcément l'entrevoir ; le vrai visage d'une bête de scène jusqu'ici trop furtivement esquissé par des compositions bridées, oscillant entre hommage et indépendance.
A parler de comparaison, celle avec Nirvana est inévitable tant le trio de Brighton s'en rapproche depuis ses débuts sans jamais tomber dans le pastiche ; c'est exacerbé sur Rich Boy, salve grunge semblant tout droit sortie de Nevermind. Au premier abord assez sobre, c'est un vent de fraîcheur étonnant qui déboule sur un refrain explosif, aux paroles décidément si justes ("A shade of blue, a bitter taste of you"). L'EP prend là un virage, qui se poursuit sur Bittersweet Motherfucker : l'ambiance a changé, les sonorités aussi, on passe dans du feel-good. La rythmique est lourde et phagocyte presque une guitare plus discrète derrière la basse délicieusement rondouillarde de Jim Wheelwright. En l'espace de trois titres, on est passé sans s'en rendre compte de la mélancolie douloureuse de Pictures Of You à la rémission sautillante de Bittersweet. Comme si le deuil avait été fait, la frustration évacuée. Tigercub est né. Coup de maître.
La galette se termine sur The End, bilan acoustique en forme de sans faute d'un EP déjà indispensable. C'est loin d'être la fin, ce n'est que le début de l'aventure pour un groupe qui ne vit que pour l'énergie du live, dans une modestie presque autiste. Tigercub est sans doute loin d'avoir conscience du bol d'air qu'ils représentent, mais espèrent avec Repressed Semantics changer les choses à leur façon, toucher par-delà la musique : “I just want us to be a really hard working band and do a lot more than music. I want to just fucking try and create an ideology, something that people can really get behind rather than just writing fucking pop songs. [...] I want to try and create something that’s unique. Push the genre forward a bit.” (Jamie, pour Crack Magazine). C'est en marche.