Abracadabra
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En 1966, les Beatles ont décidé d’être le meilleur groupe du monde. L’exceptionnel Rubber Soul leur a valu une riposte venue de l’Amérique : Pet Sounds des Beach Boys. Ils ne se laissent pas faire et vont plus loin que jamais dans l’expérimentation, repoussant leurs propres limites et celles de l’époque. Ils arrêtent les tournées et composent entièrement dans leur studio, où ils bénéficient des apports précieux de leurs ingénieurs, notamment le tout jeune Geoff Emerick qui transforme leur son dès sa première journée.
Les Beatles embrassent la vague psychédélique venue d’outre-Atlantique et, dopés par l’acide, expérimentent toutes les possibilités que le studio leur offre. Ainsi, il suffit qu’une bande musicale soit accidentellement mise à l’envers pour qu’ils sautent de joie à l’écoute de cette étrangeté et décident d’inclure un solo de guitare inversé sur « I’m Only Seleeping ». Mais tout n’est pas qu’accident : la technique de la cabine Leslie rotative utilisée sur « Tomorrow Never Knows » a été inventée sur mesure pour satisfaire au souhait de John Lennon que sa voix résonne « comme celle du dalaï-lama chantant du haut d’une montagne ». Ce morceau de clôture est précurseur de la techno avec ses samples préparés par Paul McCartney.
Au summum de leur créativité, les quatre membres du groupe se soutiennent mutuellement et apportent leur touche personnelle au travail des autres. Des trois auteurs-compositeurs, c’est John Lennon qui guide le plus leur orientation psychédélique. Avec leurs effets sonores et leur caractère planant, tous ses morceaux évoquent l’acide, quand ils n’y sont pas liés d’une manière ou d’une autre dans leur genèse. Ainsi, « Tomorrow Never Knows » est écrite sous LSD, « Doctor Robert » parle d’un docteur qui en prescrit et « She Said She Said » s’inspire d’une expérience de sous l’emprise de cette drogue. Tout comme « And You Bird Can Sing », celle-ci contient des paroles délicieusement absurdes et décousues : « And she's making me feel like I've never been born ». L’auditeur est embarqué dans ces révélations et chavirements.
Paul McCartney participe au trip mais de façon plus modérée. Son « Got to Get You into My Life », sur lequel il convoque une section de cuivres, est le seul qui sonne authentiquement psychédélique. En effet, « Good Day Sunshine » reste relativement pop et trois de ses autres morceaux sont le sommet d’un art dans lequel il excelle : celui de la ballade baroque. Portée par une partition de violons sublime, « Eleanor Rigby » évoque la solitude à partir d’un exemple d’une grande tristesse, tandis que « For No One » explore la fin d’une relation. « Here, There and Everywhere », où les chœurs des Beatles sont à l’apogée de leur grâce, parle également d’amour mais de façon plus optimiste. Ces trois perles sont la raison pour laquelle on n’en voudra pas à Paul McCartney pour son appropriation quelque peu forcée du psychédélisme.
George Harrison pousse également plus loin ses propres ambitions. Après avoir utilisé un sitar sur l’album précédent, il nous livre un morceau authentiquement indien, avec tabla et tampura : « Love You To ». Jamais, jusqu’à alors, les Beatles n’avaient sonné de façon moins occidentale. Inspiré par la philosophie indienne, le guitariste s’affirme comme le Beatle calme et méditatif. C’est aussi le cas sur « I Want to Tell You », avec sa coda expectative et ses paroles traitant de la difficulté de s’exprimer avec des mots. Cela n’empêche pas George de s’énerver contre les impôts sur « Taxman » - un peu thatchérien avant l’heure, diront les mauvaises langues. Notons au passage que, pour une fois, c’est une composition de lui qui ouvre l’album. C’est aussi la première fois qu’il a droit à trois compositions sur le même disque : petit à petit, George Harrison s’affirme comme un auteur-compositeur capable de rivaliser avec John Lennon et Paul McCartney.
Un petit mot pour finir sur « Yellow Submarine », composée par Paul McCartney et chantée par Ringo Starr. Cette comptine n’est certainement pas un des meilleurs morceaux de l’album, et elle est clairement surmédiatisée dans l’ensemble de leur œuvre, mais bon, c’est aussi ce genre de choses qui font que les Beatles sont un groupe attachant… Ses bruits de fête et de fanfare permettent de détendre un peu l’atmosphère.
Avec Revolver, les Beatles sont précurseurs de la techno. Parfaitement, Madame. Mais surtout, ils s’approprient et renouvellent la grammaire d’un genre bien de l’époque – la pop baroque – et d’un autre qui connaît un regain phénoménal aujourd’hui – le rock psychédélique. Ne serait-ce que pour ce disque et ce qu’il a inspiré, nous leur devons beaucoup.
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Créée
le 27 août 2018
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