Lucid Dream
Ce qui fait l’unité de ces 13 tracks, c’est en effet une même atmosphère « drone » ou « ambient » qu’installe avec efficacité « Lucid Dream », qui semble une réinterprétation de l’univers de Jon Hopkins.
La Marbrerie
« La Marbrerie » semble un regard derrière l’épaule sur l’album « Mirapolis ». Le morceau m’apparaît comme un bilan mélodique, qui retranscrit son objet en le lissant pour lui donner cette patine de nostalgie éthérée que construit peu à peu « Room With a View »
Sophora Japonica
Après une introduction en diptique, très aérienne, « Sophora Japonica » apporte un peu de corps à l’album avec ses nappes d’arpèges pleines de reverb et de delay. Surtout, ce grand arbre/morceau ornemental annonce un des thèmes de l’album : il ne s’agit pas seulement d’exotisme, mais aussi d’attention au monde et en particulier à la nature.
Ginkgo Biloba
Un arbre peut en cacher un autre, même si celui-ci semble ne pouvoir rester dans l’ombre, tant il est ancien et majestueux. Pièce maîtresse, « Gingko Biloba » annonce toute la force vitale qui coule dans la sève de l’album. La vie palpite sous l’écorce : en témoigne ce beat sourd et vibrant, presque tangible ! On retrouve les mélodies japonisantes de la track précédente, mais avec des lignes de basse et des voix qui viennent soutenir l’ensemble et lui donner profondeur et majesté. Nous sommes guidé.e.s vers un horizon qui se dévoile peu à peu.
Nouveau Monde
Ce morceau me semble le cœur de l’album. Après le « roman à thèse », Rone révèle dans cette track le concept de l’album à thèse ! D’où le titre de cette critique ! Rone a une « vue », et celle-ci s’exprime au travers des voix croisées d’Alain Damasio, et de l’astrophysicien Aurélien Barrau. Il s’agit d’évoquer ce que les médiocraties commencent à nommer le « monde d’après ». Pour Damasio, Barrau et Rose, il s’agit d’entrer de plain-pied dans un militantisme décroissant. C’est le morceau le plus dansant, qui d’ailleurs subit un très beau « switch » juste après la fin du propos de Damasio (qui parlait précisément d’une « perception qui a tourné »)…
Room with a view
Alors que nous entrions dans une grande couveuse intellectuelle, pleine d’espace et de couleurs, de rêves et de projets, « Room with a view » installe encore plus fermement la « germination » mentale. Nous sommes placé.e.s face à une couvée d’idées neuves qui, sans doute, esquisse le « Nouveau Monde » évoqué dans la track précédente...
L’album est décidément beaucoup plus « mental » que les précédents, plus statique et « assagi » que les précédents, en quelque sorte : pas de beat tonitruant, pas de « clinquant » dans tout cela. Le voyage proposé se fait « dans le fauteuil » (comme la philosophie du même nom), mais pour être devenu immobile, il n’en est que plus effectif à terme. Car il s’agit de recréer tout un monde. « Tourner » la perception, pour Damasio, ça veut dire lui faire subir une « volte » (avec un V majuscule) : la Révolution passe par là…
Le Crapaud doré
Dans l’uni-vert jungle de cet album apparaît le « Crapaud doré ». Ce n’est pas le crapaud de Tristan Corbière, qui révélait dans sa triste posture, le « poète tondu, sans aile, / Rossignol de la boue », c’est une version plus noble, et plus « brillante » : l’Incilius periglenes, de sublimes crapauds couleur or, disparus à ce jour, mais qui éblouirent un jour l’écologiste et herpétologiste américain Martha L. Crump en 1987. Elle les décrivit comme « des statues, des joyaux éblouissants sur le sol de la forêt » (Wikipédia). L’espèce, rare, est actuellement éteinte à cause du réchauffement climatique, façon pour Rone de rappeler l’urgence et la gravité de son propos. « Nous somme le problème », mais cette fois, il ne s’agit plus de blaguer.
Liminal Space
« Liminal Space » est un morceau très planant, à la limite du drum n’ bass / trip hop : très agréable et sombre, hypnotique.
Human
Avec un pareil titre, le sens n’est pas bien obscur. Rone nous rappelle à notre condition, et le fait en intégrant les voix de quelques fans qui ont répondu à l’appel. C’est une Horde de circonstance. Les voix sont celles d’amateurs : pour cette raison, c’est pas toujours juste, mais c’est touchant et, bientôt, les nappes électroniques reviennent, s’immiscent, et se mêlent aux cordes (vocales et frottées) dans un long crescendo qui s’épanouit avec beaucoup de douceur sur la voix d’Alice (?), la fille du compositeur.
Babel
Un morceau en forme d’interlude qui réinterpète le mythe du même nom, mais sous une forme euphorique, célébrative, heureuse : la diversité des langues n’est plus une malédiction qui sépare les hommes, c’est au contraire une bénédiction qui nous sauve…
Esperanza
Le morceau de l’album qui ressemble le plus au Rone auquel nous sommes habitué.e.s. Le « beat » est martelé par les pieds des danseurs… que l’on se contentera d’imaginer si l’on n’a pas eu la chance d’aller au Châtelet
Même effet de lent crescendo, et qui rappelle, encore très fort, Jon Hopkins. A quand un duo !?
Raverie
Un jeu de mots à la Damasio ! D’ailleurs, les textures réverbérées et l’ambiance générale font moins « rave » que « drone ».
Solastalgia
La « solastalgie » ou « éco-anxiété » est un mot-valise forgé par le philosophe australien de l’environnement Glenn Albrecht en 2003. Il désigne « une forme de souffrance et de détresse psychique ou existentielle causée par exemple par les changements environnementaux actuels et attendus, en particulier concernant le réchauffement climatique et la biodiversité » (wiki)
Magnifique début avec ces paroles chuchotées : les consonnes liquides se répercutent de part et d’autre du casque, en pong delay… Il s’agit de repartir de zéro, d’où ce tâtonnement de la langue qui cherche des syllabes, à l’aveugle, comme pour fonder une langue nouvelle, susceptible de parler à tous.tes… … dans un monde repensé ?