Ruins sonne comme une mise à nu qui entoure la fragilité de l’art d’une musicienne, comme si Liz Harris voulait se sentir seule face à son propre miroir. Une confrontation, le bilan d’une vie, d’une existence. Le nouvel album de Grouper étonne par la simplicité de son trait et de la nouveauté intrinsèque de ses arrangements : un duo piano/voix miraculeux de justesse. Nous ne sommes plus dans le cotonneux « A.I.A » qui s’évaporait dans un drone ambient de toute beauté, tout comme nous sommes loin de « Dragging a Dead Deer Up a Hill » avec sa petite folk lo-fi minimaliste. Mais Grouper reste identifiable à la moindre seconde à travers cet esprit vagabond qui erre parmi les brumes d’une forêt énigmatique et protectrice.
Marchant sur un rythme lancinant au tempo effacé, Liz Harris met un genou à terre, ou fait presque un pas en avant vers une émotion d’une pureté inégalable. Les effluves de la nature nous parviennent en plein visage, comme si le monde était beaucoup plus lisible, une lecture approfondie d’une mélancolie sans superficialité ni fioritures (« Clearing »). C’est difficile de rester insensible devant cette pluie de larmes musicales. Liz Harris, malgré ce changement d’instrument, garde sa ligne directrice, celle d’une musique à l’écriture monolithique, cette même introspection personnelle, qui essaye de se nourrir de cette simplicité pour en faire quelques chose de très parlant, une ode à l’exposition sensorielle (« Lighthouse »).
Chaque note, chaque son a sa propre connotation, chaque mesure sonne comme une mise en garde, cette voix nous caresse les sens (« Holofernes »). La voix de la jeune femme n’a jamais été aussi limpide et compréhensible, une démonstration d’une intimité qui n’est plus récalcitrante à l’exposition. Ruins trace le chemin d’une route aux contours flous, où la tristesse semble inéluctable. Cette musicienne a toujours cette qualité pour prendre la mesure de la note qui touche, une sincérité musicale qui éblouit, comme durant les 8 minutes majestueuses de « Holding ». Il ne faut pas se fier à la singularité de cette épure sonore, éloignée de toute velléité constructrice.
Les chansons sont symétriques, elles se font échos, les mélodies à la douceur indécelable nous bercent dans un environnement bipolaire entre une solitude apaisée et une infinie tristesse qui nous ouvre les yeux sur la beauté d’un monde qui nous échappait, nous, simples mortels. « Made of Air », qui termine magnifiquement l’album, diffère, diverge de cette homogénéité pour nous remémorer la symbiose sonore de Liz Harris de son drone lo-fi vaporeux. Avec presque rien, Liz Harris dit presque tout, fait ressentir une profondeur d’âme qui vous colle à la peau, un sentiment de torpeur qui nous déchire les entrailles, comme un appel à la discorde, à la conscience humaine (« Call Across Rooms »).