La solitude n'a pas que du bon
Il était une fois un ukrainien, natif de Kharkov. Son nom était Roman Saenko.
Dans son pays, et particulièrement sa ville, se développait depuis les mi-90's une scène Black Metal qui allait rapidement dépasser les snobinards norvégiens, et ce grâce à Lucifugum, mais aussi et surtout au grand Nokturnal Mortum, dont les multiples membres et ex-membres fonderont nombres de groupes et projets autour (groupes et projets qui pousseront de nouvelles recrues à en créer d'autres de nouveau, et cetera). Et tout comme ces derniers, Saenko adopta une certaine philosophie douteuse qu'il comptait appliquer à son Art, exprimé ici pour la première fois.
Tout cela est bien beau, mais Saenko n'arrive pas encore ici à la profondeur d'âme qui caractérisera Hate Forest par la suite: ce n'est qu'à l'arrivée de Thurioz d'Astrofaes que la bête se réveillera vraiment (et donc encore une fois, à une reproduction scénique via ses membres, à l'inverse de ce qu'est Hate Forest au début: le premier projet d'un homme seul). Cette influence sera évidente, mais il n'en est pas question ici, et je ne compte donc pas davantage développer sur ce sujet.
Que reste-t-il donc de ce «Scythia»? Est-il si insignifiant?
Le fait qu'Hate Forest soit encore incomplet à son premier effort ne doit pas lui ôter ses qualités: l'entité est déjà originale, elle est particulièrement haineuse et à l'âme profondément noire. On peut même déjà ressentir une once de totalitarisme lors de ce riff central sur le morceau-titre.
En soi, Saenko se démarque déjà de la concurrence dès son premier essai. L'écrase-t-il? J'en suis moins convaincu.
Là encore, j'éviterai de faire trop de comparatifs quant à l'avenir du groupe, et pourtant je dois tout de même m'attarder sur les vocaux: plus typés Death Metal dès «The Most Ancient Ones», ils sont essentiels au caractère du groupe, et le sont déjà ici. Mais Hate Forest n'étant sur «Scythia» que haine (et non biceps), Saenko use d'une voix trafiquée. Et si celle-ci fait son effet, elle assure aussi la faiblesse de la galette, au point d'en être parfois quelque peu ridicule.
«Scythia» peut aussi être chiant: si toute production estampillée Hate Forest doit être écoutée d'une traite, on trouvera ici pourtant peu de passages vraiment mémorables, passé le morceau-titre. Tout au plus penserons-nous à l'outro et au terrible "Forest of Nevres". Cet aspect "écoute-bloc" fait bien parti du projet voulu (et le restera toujours): mais le problème est qu'il n'a pas encore la musculature adéquate pour jouer au parpaing, ce qui fait perdre un certain intérêt.
En dépit de cela, «Scythia» reste fascinant par sa laideur propre. Il est aussi bien plus "naturel" qu'il ne le sera ensuite, en témoigne les quelques samples champêtres, et parvient tout de même à captiver tout auditeur patient lors d'une écoute plus ou moins attentive.
Le néophyte (comme je le fus) y trouvera son compte et évitera soigneusement de faire ce que je n'ai pu m'empêcher de faire ici. Mieux, la réédition de cette démo contenant le morceau bonus "To Those Who Came Before Us" lui permettra tout de même de constater l'évolution du projet.
L'habitué, lui, ne devra s'y pencher qu'en cas de fanitude extrême, cas cependant très répandu chez les amateurs d'Hate Forest.
Béni soit Thurioz d'être venu à Saenko. Sans lui, tout le potentiel de la forêt n'aurait pas été exploité, et Drudkh ne serait probablement pas né.