Un cri strident résonne, déchirant la nuit de lambeaux d’agonie. Pas de doute, le son d’Oxbow vous a vrillé les tympans pour la énième fois de la journée et vous commencez sérieusement à avoir des doutes sur vous-même. Les oreilles collées aux enceintes, le front en sueur, le cœur qui bat : que conclure d’une telle réaction ? Il se passe quelque chose dans votre tête. C’est dingue. Quelque chose de dingue dans votre tête. Oui. C’est fou. Fou. Je vous comprends. Depuis 1989, les concerts de ce groupe ont permis d’établir un diagnostic sans appel. Les musiciens sont des psychopathes qui se consument sur scène, de préférence dans une ambiance moite et poisseuse. Alors en même temps, comme Serenade In Red fait figure de référence dans la discographie de ce quatuor électrique de dérangés du ciboulot, ce n’est pas étonnant de ressentir tout ça. La violence est présente, pour autant on ne peut pas parler de brutalité. C’est là toute la contradiction. Il n’est d’ailleurs pas rare qu’on se trompe sur leur compte.
Comme le laisse présager le titre, Serenade in Red parle d’amour – seulement, il serait naïf de croire à du déballage de sentiments. Ce disque cathartique dépeint une des périodes sombres de la vie du chanteur, Eugene Robinson. Ancien boxeur actif pour un webzine pornographique, cette armoire à glace en bois d’ébène a tout du mauvais genre. En gros, on éviterait volontiers de le croiser tard le soir, au détour d’une ruelle. Si vous ne vous sentez pas au mieux en écoutant cet album, imaginez sur scène ce grand costaud vous regardant droit dans les yeux, la main dans le slibard, feignant de se masturber et psalmodiant des paroles cauchemardesques. Avouez que là, c’est le malaise. Sauf qu’en écoutant bien, c’est son chagrin féroce d’un amour déçu qu’il hurle ainsi à la mort, exacerbé par une musique sinueuse à la limite du rituel macabre. Poussant la voix dans ses derniers retranchements, accompagnés un instant de Marianne Faithfull, les cris dérangeants vous font tenir en apnée auditive, avant que la tension retombe un peu. Juste le temps de souffler.
La musique adoucit généralement les mœurs, mais au sein d’Oxbow, on ne peut pas en dire autant. Des morceaux comme « Luna » ont un parfum jazzy prononcé ; mais l’instrumentation atypique, avec saxophone et trombone, donne davantage de relief aux instants pesants (« Insane Asylum »). Les rythmes percutants de Greg Davis et la basse dissonante de Dan Adams font décoller « Over » et « Lucky », tandis que le piano détraqué de Niko Wenner suffit à pardonner l’absence de guitare. « Killer » sonne comme un monument de perversité. Serenade in Red, c’est la menace d’une ombre rampante, un hybride bâtard de blues vénéneux et de post-hardcore glaçant, de la « musique pour adultes » cradingue à réserver aux avertis. Une porte d’entrée idéale sur le monde merveilleusement absurde, théâtral et poétique d’Oxbow.