Freddie Gibbs nous avait gratifiés d’une dernière sortie exceptionnelle, Pinata, en collaboration avec le soulful Madlib. Le revoici avec Shadow Of A Doubt, une composition de son cru, cette fois. Le titre est-il prophétique ?


Beaucoup l’adoubent comme un des meilleurs MC de sa génération, dans l’écriture comme dans l’interprétation. Avec Pinata, porté par Madlib, on était pas loin de donner raison aux fans. L’exercice de Shadow Of A Doubt est double, voire doublement casse-gueule. Enchaîner deux albums dans la même année, demandez à qui vous voulez, c’est pas de la tarte. De plus, cette fois sans l’appui de fond d’un producteur qui transforme tout ce qu’il touche en or, Freddie Gibbs a du composer avec les moyens du bord, avec la réunion de producteurs aux styles différents. Ça fatigue, ça occupe, et ça laisse moins de temps pour s’appliquer derrière le micro.


Pourtant, Shadow Of A Doubt commence plutôt bien. Très bien, même. Le crédit en revient à un « Rearview » initial ultra-sombre, ténébreux, menaçant. Exit les samples et les petits riffs, le gus est pas là pour plaisanter. Comme pour se venger, le thème est cette fois grave, les paroles, droit dans le thème de la dureté et du vrai. Pour appuyer, un beat trap. Bien, mais pas forcément transcendant dans le message. Il faudra s’en contenter pour le reste de l’album.


Les roulements de beats et les gros snares en forme de claque dans la gueule, on en bouffe forcément du côté de « Narcos » et son thème surexploité ces derniers temps. Si même Fabolous le traite, c’est que c’est vraiment ressassé. Un peu plus au Nord mais toujours aussi plat, « Mexico » permet à Tory Lanez de gueuler un peu dans le micro saturé. Super. Quid de « Packages (feat. ManMan Sauvage) », son à peine digne de sortir des enceintes pourries d’un vieux smartphone ou d’une caisse tunée. « Déception », comme dirait l’autre.



Inégal dans l’effort



Non, ce n’est pas un manque de talent de la part de Freddie Gibbs. C’est de la fainéantise ou du manque d’inspiration, au choix. Parce que des vrais titres de hood, avec un peu d’implication et d’application, il sait faire. Et peut être mieux que personne, parfois, comme sur « Lately », construit un peu old school, avec ses vocalises multiples flirtant avec le RnB sur le refrain qui ne cachent pas de furieux vers. Même principe sur le faux-doux « Fuckin’ up the Count » et son sample de The Wire. S’il faut y aller et s’imposer seul sur un instru’ presque expérimental, pas peur non plus. Certes, « Cold Ass Nigga » ne va chercher bien loin dans l’écriture, mais l’effet est indéniable. Difficile de ne pas sentir monter l’adrénaline à l’écoute seule du morceau, avec cette montée finale funèbre plus que marquante.


Le mot d’ordre de ce Shadow Of A Doubt, c’est bien l’éclectisme. A tempérer toutefois, puisque celui ci semble bien plus présent par manque de liant que par volonté d’explorer toutes les sous-genres du Hip Hop. Les clubbers et DJ se contenteront d’un « 10 Times » avec Gucci Mane. « Basketball Wives » se transforme en une sortie ratée, dégoulinante de vocoder, du côté du RnB. « McDuck (feat. Dana Williams) » et « Insecurities » sonnent déjà un peu mieux, mais pas de quoi en retenir immédiatement leur nom.


Il est là, le principal défaut de Shadow Of A Doubt : son manque de punch, son manque d’impression dans nos esprits. Enfin, presque. Parce que l’album détient deux petites pépites qui nous feraient presque oublier le reste. Le premier, c’est bien évidemment « Extradite », accompagné d’un collaborateur à la hauteur du talent de Freddie, Black Thought de The Roots. Exploitant au maximum le légendaire « Nautilus » de Bob James, traitant du spleen du gangster avec le plein de métaphores, difficile de résister à ce qui s’érige aisément comme le titre de l’album. Sans en oublier toutefois « Forever and a Day », faux « Tubular Bells » que n’auraient pas renié les artistes phares de la Beast Coast.


Non, Shadow Of A Doubt n'est pas à la hauteur de Pinata, la dernière création de Freddie Gibbs. On s'y attendait un peu. Là où on est surpris, c'est sur le manque d'inspiration, parfois le manque d'implication de l'artiste. Un album qui prend un peu de goût à la force de la réécoute, une fois qu'on sait trier le bon du moins bon. Nourrissez vos playlists de "Forever and a Day" et "Extradite", et passez votre chemin.

Hype_Soul
5
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le 4 déc. 2015

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