Il aura suffi qu'un spectateur l'interpelle en lui criant "Tais-toi et joue de ta guitare" pour que FZ le prenne au mot et décide de produire ces trois albums vinyles uniquement constitués de solos de guitare ... c'est sûr, faut pas le provoquer, car il a du répondant.
Mais hormis cette anecdote savoureuse, qu'en est-il du contenu ?
Tout d'abord, il y a, suivant notre humeur, différentes manières d'écouter ces 107 minutes : soit par bribes (attentivement ou en vaquant à d'autres occupations), d'une traite (allongé dans votre fauteuil favori, vous laissant emporter pour un voyage), au casque (en analysant les figures arythmiques, typiques des compositions zappaiennes), et sûrement encore bien d'autres manières ...
Personnellement, il m'a fallu des années avant d'écouter ces 107 minutes d'une traite ... la plupart du temps, j'écoutais quelques morceaux par ci, par là, puis décrochait, m'occupait à faire ma vaisselle simultanément ... finalement, je trouvais qu'écouter une demi-heure de ces solos était le maximum que je pouvais supporter. Puis petit-à-petit, je me suis laissé séduire par ces différentes approches qu'il nous propose, pour être finalement familiarisé avec l'ensemble et y trouver un plaisir sans cesse renouvelé à chaque écoute. Au bout du compte , j'ai ressenti une jouissance, exactement là où FZ lui-même en ressentais une en jouant de la guitare en public ...
Il faut aussi savoir que vous n'entendrez aucune chanson, aucune mélodie, aucune parole, mais rien que des solos de guitare extraits pour la plupart de prestations en public faites entre février 1979 et décembre 1980. Le tout entrelardé de courts dialogues ou phrases afin de donner une dynamique à l'ensemble, comme une ponctuation.
Pour l'aspect technique, FZ précise que l'ensemble a été séquencé pour qu'il y ait suffisamment de variété en termes de styles, de tempos et de signatures de clé, de manière à ce qu'il y ait une continuité pour chaque unité de 18 minutes.
Allons-y donc pour les 18 premières minutes :
Le voyage commence avec un solo extrait du morceau "Conehead" (Five-Five-Five). C'est une introduction idéale, musclée, proposant des changements de rythmes constants, signature de la complexité des compositions de FZ. Le solo suivant (Hog Heaven) étant un jeu constant entre la guitare et la batterie, toujours en dehors des temps, jouant avec les cassures de rythmes. On a ensuite droit à une ponctuation vocale de Terry Bozzio disant "Mon Dieu, c'était vraiment beau. . ."
Patrick O'Hearn répondant "Ha-uh. . ." Puis c'est reparti pour un autre solo extrait du morceau "Inca Roads", (Shut Up 'N Play Yer Guitar). Ici, on est emporté par la fluidité de l'ensemble. On retrouvera plus loin quatre autres solos extraits d'autres prestations du morceau "Inca Roads". Pour finir cette première séquence, on a droit, (chose assez rare chez FZ) à un solo exécuté en studio (While You Were Out) avec sa guitare électro-acoustique "Black Widow", morceau à l'ambiance sereine.
Si vous avez du temps devant vous, vous pouvez décider de plonger dans les 18 minutes suivantes :
Et là encore, FZ prend le soin de nous proposer 3 morceaux aux ambiances contrastées, le premier (Treacherous Cretins) démarre lentement sur une rythmique reggae et sera le plus doux du coffret, le second (Heavy Duty Judy) est épileptique à souhait, tandis que le troisième (Soup 'N Old Clothes) est un solo envoûtant qui se termine dans un enlacement de tous les instruments.
Après ces deux faces captivantes, l'on peut n'avoir qu'une seule envie, c'est de découvrir, si les deux galettes restantes nous réserveront la même qualité créative :
En tout cas, rien que le titre du premier morceau de cette face C, est alléchant (Variations On The Carlos Santana Secret Chord Progression), et oui, on a bien affaire à un rythme latino dans le plus pur style Santana, FZ s'en donnant à coeur joie ! On poursuit, après une brève ponctuation avec un court solo chatoyant extrait du morceau "Inca Roads" (Gee, I Like Your Pants). Puis, une pièce maîtresse, dense et par moments aérien, où le sitar électrique, la batterie et la basse, ont autant d'importance que le solo de guitare de FZ, ce morceau, bien qu'enregistré en concert, a bénéficié d'overdubs quelques mois plus tard (Canarsie). Puis on termine sur un superbe morceau avec un parfait équilibre entre la guitare percutante, les envolées électro d'André Lewis, la batterie envoûtante de Terry Bozzio et le jeu de basse impeccable de Roy Estrada, morceau datant de 1976.
Si vous décidez d'entamer la face D, ce sera peut-être pour voir si FZ tient sa promesse de la diversité :
En tout cas, cela commence de manière très subtile, les percussions d'Ed Mann étant bien mises en valeur (The Deathless Horsie), ensuite on a droit au troisième solo différent extrait du morceau "Inca Roads", nous prouvant ainsi à quel point FZ improvisait totalement ses solos, car, une fois de plus on a affaire à une version très différente des autres (Shut Up 'N Play Yer Guitar Some More). Le solo est, ici, toujours aussi chatoyant, mais beaucoup plus long, près de 7 minutes ... et souvent à la limite de la rupture au niveau sonore, les larsens faisant partie du jeu ! ... et, on termine avec un morceau datant de 1977, atmosphérique, qui clôt à merveille cette seconde galette (Pink Napkins) et où tous les musiciens, y compris Eddie Jobson (Roxy Music) se mettent au service d'une sonorité de guitare Stratocaster exceptionnelle.
Tellement subjugué par ce dernier morceau, je ne peux que vous conseiller de poursuivre la découverte de la face E.
Et là, c'est sa Gibson Les Paul qui fait des ravages, avec ce son saturé, le bassiste Arthur Barrow étant la plupart du temps volontairement hors de la mesure (Beat It With Your Fist), le solo suivant étant le quatrième extrait du morceau "Inca Roads", toujours aussi aérien, mais encore plus long : 8'30, ça se savoure ! (Return Of The Son Of Shut Up 'N Play Yer Guitar) ... après tout ce que l'on vient d'entendre, est-il encore possible de nous surprendre ? Le court morceau qui suit nous fait respirer par sa dextérité (Pinocchio's Furniture), le tout se terminant sur une ambiance plus pop pour commencer, mais qui très rapidement se délite en une sorte de confrontation entre deux univers contradictoires (Why Johnny Can't Read).
A l'entame de la face F, je me demande quelles surprises nous réserve cette dernière face ?
Tout d'abord, on commence par le solo le plus long de l'album, à la sonorité flamenco ... mais déstructurée (Stucco Homes) avant que l'ensemble ne se termine sur une pirouette où FZ nous propose un morceau où il joue du bouzouki (sorte de mandoline grecque), avec le violoniste Jean-Luc Ponty. Ce duo, enregistré en 1972, était cher à FZ et il en profite pour le proposer en dernière piste sur ce coffret, même s'il ne s'agit pas à proprement parler d'un solo de guitare.
On se retrouve ainsi avec une telle collection de solos de guitare diversifiés, allant de la plus belle simplicité à la plus forte complexité, qu'il sera difficile, après leur écoute, de ne pas considérer FZ comme un des guitaristes les plus créatifs de sa génération, à défaut d'être un des plus techniques, ce qu'il n'a jamais prétendu être. Il considérait Steve Vai, par exemple, comme meilleur technicien que lui, raison pour laquelle il lui demandait de jouer ce que lui-même ne pouvait exécuter. Finalement, ce qui est intéressant dans sa manière de jouer, c'est le plaisir qu'il a de varier les postures.