Après deux albums relativement expérimentaux (surtout Yankee Hotel Foxtrot), Wilco renoue avec une musique plus classique, plus sobre et tranquille. Le résultat peut paraître décevant à la première écoute, on ne retrouve pas le côté déviant si cher au groupe, illuminant une musique à papa de trouvailles sonores et mélodiques touchantes de beauté. Ici, tout paraît trop propre, voire trop gentil et bien exécuté, sans excès, comme si au fil des ans Wilco se transformait petit à petit en groupe à papa tellement craint (par moi en tout cas). Enfer et damnation !
Et pourtant, en grattant la couche trop lisse et en prenant le temps d'apprécier les chansons à leur juste valeur, Sky Blue Sky se révèle être un fantastique album, bourré de maîtrise et de savoir faire, et sans doute le disque le plus homogène du groupe en terme de qualité. Contrairement aux précédents albums, on ne retrouve aucun morceau vraiment faible ou dispensable, ils ont chacun leur particularité, le petit arrangement qui les fait briller et exister au milieu des autres. Ils s'imposent sans forcer, par la subtilité de leur écriture, leur sens mélodique tout en douceur et long en bouche, qui s'immisce dans notre esprit et y fait son nid, petit à petit, pour ne plus nous lâcher.
L'album s'écoule ainsi, d'un bout à l'autre, sans fausse note, avec une fluidité désarmante, enchaînant les morceaux aussi beaux et évocateurs les uns que les autres. L'air de rien, Wilco atteint un autre niveau de maturité dans son écriture, le groupe dégage une assurance et une maîtrise absolue des éléments qui composent sa musique, il sait parfaitement allier les ingrédients nécessaires à la composition d'un bon morceau pop/rock aux influences americana, tout en conservant un naturel, une décontraction et une sensibilité d'une sincérité totale, sans chercher à complexifier un plaisir auditif tellement simple et évident qu'il paraitra trop facile aux oreilles de certains.
Si la plupart des chansons paraissent tranquilles au premier abord, le travail des guitares leur apporte l'énergie transgressive nécessaire pour les amener sur des terrains assez renversants, tout en délicatesse. On retrouve d'une certaine manière l'énergie ponctuellement électrique de A Ghost Is Born, même si c'est ici plus contenu, moins explosif mais non moins incisif au final. Les solos de guitare limpides de Either Way (cette introduction parfaite) et de Impossible Germany amènent progressivement ces délicieuses ballades mid-tempo vers un final flamboyant. Je trouve d'ailleurs le cas Impossible Germany très représentatif de l'album, puisque le rythme americana et propret du morceau peut rebuter au premier abord mais révèle tous ses charmes au fur et à mesure des écoutes, les guitares toute en subtilité crépitante illuminant au final l'ensemble du titre, ajoutant ce supplément d'âme si puissant, si chaleureux et attachant.
Mon titre préféré de l'album reste toutefois You Are My Face et son break de folie, foudroiement intégral de guitares électriques qui amènent une partie centrale très intense avant le retour au calme pour un final tout en douceur. Si j'aime tant ce morceau c'est peut-être aussi parce qu'il m'a servi de phare durant mes premières écoutes, son énergie étant tellement imparable et viscérale qu'elle donne envie de creuser et de revenir vers l'album pour mieux cerner la richesse des autres morceaux. Et ce titre témoigne encore de l'utilisation fantastique qui est faite des guitares, avec une rage chirurgicale détonante.
Autant dire que le début du disque, avec l'enchaînement Either Way / You Are My Face / Impossible Germany est stratosphérique. Mais l'album brille aussi avec les titres plus intimistes et dépouillés à l'image des sublimes Sky Blue Sky et Please Be Patient With Me, ce dernier étant une perle d'une douceur infiniment apaisante (ouais, je crois que c'est un des morceaux les plus apaisants qu'il m'ait été donné d'écouter). En fait le groupe brille dans tous les domaines, avec ce souci constant de proposer une musique à la fois exigeante et accessible : exigeante dans ce classicisme presque forcené, maîtrisé, où tout semble pesé, dosé, posé, avec un talent fou et une vision clairement définie, et accessible grâce à la spontanéité et à la fraîcheur qui se dégage malgré tout de la musique, à la sensibilité des mélodies et au plaisir musical communicatif qui en ressort.
La seule chose qui pourrait manquer à Sky Blue Sky c'est l'audace et l'once d'originalité qui font la plupart des chefs-d’œuvres, ce qui explique sans doute la place secondaire attribuée à cet album dans la discographie du groupe. Mais c'est aussi clairement ce qui fait le charme de Sky Blue Sky, cette humilité et cette intégrité dans l'écriture, ou alors je me fais juste vieux, suffisamment pour être touché par la tranquillité classique et délicate des chansons. Quoi qu'il en soit, vieux ou pas, Wilco livre encore un très bon album, peut-être même celui qui s'écoute le plus facilement avec un plaisir presque coupable.