Le post-rock s'invite à l'Abbaye de Thélème
Difficile de mettre les bons mots sur la fine fleur de la perfection instrumentalo-lyrico-dramatique en cette fin de XXè siècle épouvantablement morbide.
Essayons.
Non seulement ce 'Slow Riot for New Zerø Kanada' est un chef-d’œuvre de poésie dystopique, mais est également l'acmé d'un post-rock apocalyptique sans concession. Il vient asseoir en à peine une demi-heure sa prévalence sur et dans le monde de l'expérimentation de ce que j'appelle l'étrange du réel.
Une contre-utopie difficile à avaler pour certains, révélatrice des maux auxquels nous nous sommes confrontés, et auxquels nous sommes incessamment en prise. L'angle de vue de Godspeed You! Black Emperor est triste. Ils dépeignent un (le) monde sous une facette noire et emplie de brouillard en guise d'horizon. Effectivement, écouter le groupe canadien n'est pas une franche rigolade, je le concède. C'est a contrario faire face à ses peurs, ses angoisses et les relents de douleurs inextinguibles. Une humanité blessée et meurtrie devant s'en accommoder. Lui faire front pour mieux avancer. Le face-à-face qui permet de passer outre le pathos; la passion mariée à la souffrance.
CAR Slow Riot for New Zerø Kanada est un album qui nous parle à chacun de nous, traitant le désespoir comme le fit Søren Kierkegaard avec son Traité au milieu du XIXè.
CAR Slow Riot for New Zerø Kanada est une urgence qui travaille sur le contrepoint mélodique, nous entraînant par-là même sur des terrains de la pensée également complexes, et nous renvoyant à l'expérience. La fameuse catharsis Aristotélicienne du pragmatisme (cf. "La Politique") où les affaires humaines ne peuvent se faire que dans l'espace de la Cité, et celles-ci ne se règlent que par la voie du rationalisme. Chez GYBE, la transposition se fait par le biais d'une musique décharnée à laquelle se mêle le paisible. Les va-et-vient sont puissants, bien pire que des bombes dans l'intensité. Les montées côtoient les descentes, les descentes côtoient les montées. Le tout est empaqueté dans une graduelle désillusion dont je parlais au début (dystopie), affichant de facto un monde qui s'est infligé lui-même ses propres meurtrissures.
CAR Slow Riot for New Zerø Kanada n'est pas en-soi (et ne doit pas être vu) un tableau noir crée de toutes pièces, non non. Il dresse au contraire le tableau d'une vue synoptique aux allures d'espoir sur une terre où l'arme destructrice n'est pas celle que l'on croit. NOUS sommes nos propres armes de destruction. C'est en cela que cet EP nous propose de réfléchir; réfléchir sur ce que nous sommes, et surtout sur ce que nous sommes capables de faire pour rétablir la balance. Mais pour se faire, il faut voir l'horrible pour le vaincre. Un exorcisme par la confrontation. Chasser la fierté qui habite en chacun de nous pour la mettre au service d'une globalité. Alors que Honoré de Balzac parlait d'Illusions Perdues, Godspeed You veut qu'on les utilise pour (re)créer l'espoir.
Bien que nombre de rêves s'envolent, il est de notre ressort d'établir ce qui ne doit plus être, faute de n'être capable de déterminer un futur utopique. Par conséquent, ordonner sans juguler et libérer sans se dissocier.
L'Olympe de l'émotion et de l'intensité vécu en 28 minutes.
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