Soleil cherche futur est le deuxième album pour lequel Thiéfaine s’offre les services de Claude Mairet, et le dernier où il est accompagné par le groupe Machin. Il occupe une place centrale dans sa discographie, et forme avec l’opus précédent un dyptique de choix. Les dernières balises du folk ont été dépassées, la mutation vers un rock déjanté est entamée. Le chef d’œuvre de cold wave qu’est Alambic Sortie Sud est annoncé, mais l’album que voici est bien davantage qu’une transition : c’est un petit chef d’œuvre de poésie angoissante et de folie.
Le rock de HFT est atypique et obscur, sans être inaccessible ou de mauvais goût. Les riffs sont très bien trouvés, l’instrumentation est riche et la voix semble planer au-dessus du tout à la manière de celle d’un incantateur. Les sonorités parfois liturgiques rapprochent Soleil Cherche Futur d'une messe diabolique, une union scandaleuse entre le sacré et l’immonde. L’ambiance est unique, peu d’artistes peuvent se vanter d’une telle originalité. Les textes abscons sont de grande qualité et recèlent de références rendues énigmatiques par la jonction de la culture et de l’imagination de l’artiste. Chaque chanson suit une trame qui a toutes les apparences de la logique, mais le contenu est tel qu’il est difficile de lui donner un sens certain. Une entreprise de décodage méthodique risquerait d’ailleurs d’être réductrice envers la richesse des impressions permise par l’imprécis. L’intérêt est plutôt d’attraper les images subliminales et les figures de style au vol, et de se délecter de phrases éminemment surréalistes telles que « Il est bientôt minuit, mais je fais beaucoup plus jeune ».
« Autoroutes Jeudi d’Automne », avec sa mélodie accrocheuse, son orgue profond et ses silences mystérieux, peut être utilisée comme exemple de ce que le rock français est capable de produire de meilleur. Elle est comme une course à toute allure sur le réseau autoroutier, n’ayant d’autre but qu’un exil qui soulage. La lancinante « Ad Orgasmum Aeternum » prolonge cette aspiration à aller chercher « plus loin, ailleurs » en indiquant que « le blues est au fond du couloir ». Cette idée de fuite est présente dès le début de l’album avec la mélodie quelque peu exotique de "Soleil Cherche Futur", qui donne l’impression d’avoir rejoint pour quelque temps les deux enfants représentés sur la pochette, dans un quelconque pays lointain. Mais le monde est grillagé et si un horizon heureux est perçu, ce n’est qu’un trompe-l’œil. Les deux chansons les plus connues de l’album, à savoir "Lorelei Sebasto Cha" et "Les Dingues et les Paumés", évoquent des lieux glauques où se rencontrent toutes sortes de noctambules aux désirs louches. Comme Apollinaire le faisait en son temps, Thiéfaine prend les affres de la modernité urbaine comme sujets d’inspiration pour transfigurer une réalité qui perd de son naturel.
Cet album est donc une mine d’or pour les amateurs de mots, d’images et de musique. Malheureusement, il est plutôt décevant sur la fin. Sur De l’amour, de l’art et du cochon, les trois dernières chansons constituaient le meilleur moment de l’album. Ici, c’est plutôt l’inverse : on ne peut que louer l’hommage indirect que Thiéfaine loue au rock dans « Rock Joyeux », mais ce titre aurait pu faire une bonne chanson cachée. Vu que Soleil Cherche Futur est un album très court (à peine plus d’une demi-heure), il aurait pu faire un EP génial en se limitant aux cinq premières chansons. Cela dit, le reggae de « Solexine et Ganja » est tout de même très satisfaisant et permet de prolonger le plaisir. A ce stade où le narrateur en vient à fumer sa carte d’identité, on a renoncé à chercher un sens et on se contente de crier sans comprendre : « Ganja ! ».